Alors que le tournoi du Grand Chelem parisien s'est ouvert ce dimanche, le premier sous la direction d’Amélie Mauresmo, Gilles Moretton, 64 ans, a accordé une interview exclusive à Europe 1. Il revient sur ses responsabilités en tant que président de la fédération, sa première année à la tête de celle-ci, l’avenir du tennis français mais également son projet d’Urban Tennis, destiné à populariser le sport partout en France notamment auprès de la jeune génération.
Sur ses responsabilités : "On va retrouver la bonne santé du tennis"
"La vie m'a appris à prendre mes responsabilités en tant que joueur sur le terrain, puis ensuite en tant que chef d'entreprise. Là, c'est une lourde responsabilité. Mais j'arrive dans une période ou le tennis a souffert pendant un an. On a eu la crise du Covid qui nous a fait perdre 95 millions d'euros, les résultats tennis n'étaient pas très bons, les licences étaient en baisse depuis 2010. Et puis là, au bout d'un an, on a redressé la barre. Sur le plan financier, on va passer le million de licenciés, donc c'est un peu historique. On l'avait perdu. On va retrouver la bonne santé du tennis, à la fois sur le plan de la pratique de monsieur tout le monde, de la famille, du loisir, de la santé, mais aussi sur le haut niveau parce que le tennis est toujours aussi attractif. On l'a bien vu avec l'Open d'Australie, dans tous les tournois que j'ai pu voir en France et puis à Roland-Garros. L'intérêt pour ce tournoi montre que le tennis se porte bien en France mais aussi à l'international."
Sur la concurrence avec les autres Grands Chelem : "On doit absolument se challenger"
"On va rentrer complètement dans le vif du jeu. On est en permanence menacé. On est dans une compétition mondiale, ce qui m'a amené d'ailleurs à recruter Amélie Mauresmo à la tête du tournoi. On ne peut pas se reposer sur nos lauriers en disant que le tournoi de Roland-Garros, il est beau, il est magnifique. Non, mes prédécesseurs, j'ai tendance à chaque fois à rendre hommage à Philippe Chatrier, qui a été notre président, qui a amené le tennis dans l'ère moderne et puis, d'année en année, on est arrivé à cet écrin extraordinaire qu'est Roland-Garros. On doit absolument se challenger parce que la concurrence est là. Sur les prize money, on ne se bat pas avec les mêmes armes qu'avec Wimbledon ou l'Open d'Australie. On a chacun une spécificité, une identité. Ici, c'est un tournoi qui est prisé où l'image du tennis a un peu ce côté haut de gamme, un peu bourgeois, snob. Ce n'est pas du tout le cas. Le tennis, ce n'est pas ça en France. Quand on va dans nos clubs au fin fond de nos départements, on se rend compte que le tennis est pratiqué partout et pour tous. Un de mes combats sera de changer cette image là. On a tendance à voir le tennis au travers de l'écran de télévision de Roland-Garros. Ces loges, ces chapeaux dans la tribune présidentielle donnent une image un peu haut de gamme. Mais ce n'est pas la réalité de la pratique. On est un sport populaire, pratiqué réellement partout."
La nomination d'Amélie Mauresmo : "J’ai nommé une compétitrice"
"Je voudrais rendre hommage à Guy Forget qui a fait un travail remarquable, qui a donné au tennis une image formidable. Ça a été un ambassadeur pendant des années. À un moment donné, il faut se remettre en question, être capable de repartir à zéro. En nommant Amélie Mauresmo, j'ai nommé une compétitrice, quelqu'un qui s'est toujours remis en question, qui est capable d'aller au bout de ses idées, qui est exigeante dans la qualité et qui nous a apporté beaucoup. Elle n'a pas répondu à vos interviews à un moment donné, parce qu'elle a eu une phase d'apprentissage et dans sa phase d'apprentissage elle a voulu réellement connaître les dossiers, travailler avec toutes les équipes. C'est vraiment un boulot considérable. Maintenant, elle a maîtrisé, elle connaît et elle va impulser sa touche. On verra sur ce nouveau Roland-Garros ce qui va être très différent. On verra un peu l'empreinte d'Amélie sur le tournoi."
Sur l'avenir du tennis français : "C’est un peu mon chantier"
"N'oublions pas que Jo-Wilfried Tsonga, Gaël Monfils, Gilles Simon, Richard Gasquet, ils ont été les quatre en même temps dans les dix meilleurs joueurs du monde, mais on en a très peu parlé parce qu'au dessus d'eux, il y avait les Nadal, Djokovic et Federer qui étaient en train de construire leur carrière. Là, on a un petit trou dans la raquette, comme on dit en tennis, et on attend la génération suivante. La génération suivante, elle est là, elle fait des résultats de temps en temps. Elle se situe de temps en temps entre la 20ᵉ et 50ᵉ place. Elle varie et on a de bons joueurs. On a une école de tennis, on a un nombre de clubs considérable. On est d'ailleurs la première nation au monde en joueurs classés à l'ATP et en joueuses classées à la WTA, mais largement devant les autres nations. On a aussi un système de formation qui est bon, qui est bon jusqu'à douze-quatorze ans. Et derrière, c'est un peu mon chantier en tant que président de fédération avec la direction technique nationale, on a identifié des failles. Alors on parle de failles, mais on parle aussi d'une évolution. Les choses ont changé. Ma génération ou la génération d'après, on était quasiment les seuls entraînés par la fédération. Nos entraîneurs étaient des entraîneurs fédéraux et il n'y avait pas grand chose d'autre. Aujourd'hui, on est parti sur un modèle différent ou il y a des entraîneurs individuels qui font du très bon travail. Je pense qu'on doit modifier notre modèle par rapport à cette situation."
Ses favoris du tournoi : "On a un Roland-Garros ouvert"
"J’ai une idée parce que je suis le tennis professionnel de près. Chez les femmes, on a aujourd'hui Iga Swiatek (Polonaise, numéro 1 mondiale) qui a gagné plusieurs tournois à la suite qui aujourd'hui domine le tennis féminin. Le départ d'Ashley Barty a fait que la place est ouverte. Mais derrière, il y a la Grecque Maria Sàkkari (Numéro 4) qui joue bien. Il y a Alizé Cornet qui a fait un bon résultat à l'US Open, à l'Australian Open et que l'on attend ici. Et puis il y a ces deux jeunes joueuses qui étaient en finale de l'US Open (Leylah Fernandez et Emma Raducanu, respectivement numéro 17 et numéro 12 mondiale) , qui ont disparu un peu de la situation, radicalement. On était heureux de les voir arriver et on est un peu triste que derrière, elles n'aient pas fait de résultats. Chez les hommes, l'excitation est à son comble à Roland-Garros. Parce que là, on a Roland-Garros "open" (ouvert, ndlr) alors que depuis des années, on a un Roland-Garros avec Rafael Nadal, le favori sur la terre battue et puis là, d'abord on voit les autres se rapprocher, Stefanos Tsitsipas, Alexander Zverev, Daniil Medvedev qu'on va retrouver ici à Roland-Garros, mais aussi le jeune Carlos Alcaraz, dont tout le monde parle et c'est vrai qu'il fait rêver. Il a impressionné tout le monde lors du tournoi de Madrid, mais on a Djokovic, grand favori, dont on parle pas trop et qui va arriver quand même avec le titre de Madrid en poche. Et puis Rafael Nadal, bien sûr."
Sur la présence de Rafael Nadal : "On est très proche de lui"
"On est forcément heureux. Il est un peu l'ambassadeur de Roland-Garros avec ses titres, avec son palmarès, avec sa statue et on est très proche de lui. On aime son comportement, on aime son attitude et on a envie de le voir ici jouer. Et puis, pourquoi pas gagner encore une fois ?"
Sur le duel Novak Djokovic - Rafael Nadal : "Le challenge est à son comble"
"C'est pour ça que ce tournoi est passionnant et excitant. C'est vrai que dans la compétition, on peut situer les Grands Chelems un petit peu au-dessus de la mêlée. Ce sont les seuls à distribuer 2000 points là où les ATP 1000 distribuent 1000 points. Djokovic a été forcément très blessé (Il n'a pas pu participer à l'Open d'Australie, car non vacciné contre le Covid-19). Quid de repartir comme ça sans avoir pu jouer et défendre ses chances en Australie ? Et puis derrière surtout, voir Rafael Nadal remporter le titre là où Djokovic était plutôt favori. Le challenge est à son comble mais derrière, ça pousse. Tsitsipas a perdu en finale à Rome (Contre Djokovic), je pense qu'il a dû enregistrer les erreurs commises et qu'il ne va pas les reproduire une deuxième fois. Et puis il y a Carlos Alcaraz qui est là. On verra au tirage au sort. Ça va être assez intéressant de voir le tableau se dessiner au niveau des quarts de finale et des demi-finales."
Sur la présence des joueurs russes et biélorusses, que le tournoi de Wimbledon n'a pas accepté : "C’est la position de la France"
"Le 9 mars dernier, les ministres des sports de l'Union Européenne ainsi que d'autres ministres comme les Américains, les Canadiens, les Japonais, les Australiens, ont pris une position concernant les joueurs russes et biélorusses. Il a été convenu avec le Comité Olympique et les fédérations internationales d'interdire ces deux nations sur les matchs par équipes. Donc vous ne verrez pas malheureusement l'équipe russe jouer en coupe Davis. En revanche, il a été autorisé aux joueurs de jouer individuellement sans jouer sous leur bannière, sous leur hymne, sous leurs drapeaux."
Sur les tribunes du court central : "La tribune présidentielle sera occupé par des bénévoles"
"On a, par le passé, fait le choix d'avoir au bord du terrain des loges. La volonté qui est la mienne, c'est d'amener de plus en plus le public, les fans de tennis, ceux qui arrivent les premiers et qui partent les derniers, au bord du court. Donc ça va se faire dans le temps. Des mesures ont été prises cette année. J'ai décidé que la tribune présidentielle, qui est souvent vide, soit occupée par des bénévoles. Ces gens qui consacrent leur vie au tennis, qui donnent de leur temps, on leur a réservé quasiment la moitié de la tribune présidentielle et eux, en voiture, ils sont là. Concernant les loges, on a mis en place un dispositif avec des des billets annexes Up. Ces billets annexes permettront à des gens qui sont ou dans le stade d'occuper les loges lorsqu'elles sont vides. Donc on a un système de rotation. On a essayé de combler et dans le dans le temps, on va essayer d'améliorer. Je crois que ça fait partie du souhait d'Amélie Mauresmo. On veut que les fans de tennis puissent être là pour les encourager parce qu'ils sont là les premiers, ils sont là les derniers, en fin de journée, quand il faut encourager les joueurs et les joueuses."