Alors que le tournoi du Grand Chelem parisien s’est ouvert dimanche, le premier sous sa direction, Amélie Mauresmo, 42 ans, a accordé une interview exclusive à Europe 1. Successeure de Guy Forget, l'ancienne quart de finaliste à Roland-Garros revient sur ses responsabilités en tant que directrice du tournoi, son adaptation à son rôle, ses favoris et sur toutes les modifications apportées à ce tournoi, avec notamment la mise en avant du tennis-fauteuil.
Son adaptation à son nouveau rôle : "C’est un vrai défi pour moi"
"L'adaptation a été bonne. L'accueil des équipes a été bon. C'était une grande découverte pour moi parce que j'ai beau faire partie de cette famille du tennis, le tennis a beau être toute ma vie depuis très longtemps, mais passée du côté organisation pour un tournoi comme Roland-Garros, un tournoi de cette ampleur, je n'avais pas vraiment conscience, déjà, du nombre de personnes qu'il y avait derrière et de tous les petits détails qui étaient importants dans ce genre d'événement. Mais en réalité, on parle d'un événement international qui engendre tellement de corps de métiers différents que c'est de l'événementiel. Je garde évidemment cette vision sur le sport, mais tout le reste, c'est de l'événementiel, à une échelle énorme. Donc c'était une découverte. Mais c'est aussi très intéressant, et c'est un vrai défi pour moi de me mettre à niveau le plus rapidement possible. J'espère que c'est bon que j'ai fait le boulot. Ç'a été très instructif pour moi. J'ai beaucoup appris, j'ai beaucoup écouté, j'ai joué, j'ai observé. J'arrivais aussi avec une vision pour toute la partie sportive, tout ce qui est plus visible, avec l'envie de faire bouger les lignes dans certains domaines et c'est ce que j'ai pu faire dans une certaine mesure, ce qui continuera aussi pour les éditions futures. Pour cette édition 2022, je suis plutôt satisfaite. J'étais impatiente de rentrer dans le vif du sujet."
Ses deux priorités : "Le bien-être des joueurs et remplir les tribunes"
"À Roland-Garros, on a manqué pendant longtemps de place, ce qui faisait que tous les espaces joueurs étaient restreints. Je compare par rapport à Wimbledon, l'Open d'Australie, qui ont des hectares et des hectares de terrains, des espaces où on pouvait trouver de l'intimité, se reposer, se concentrer, être en fête. Moi, ce qui m'intéresse, c'est que le joueur ou la joueuse arrive sur le terrain et puisse s'exprimer à 100 %. Je trouvais que ce n'était pas si simple de le faire ici à Roland-Garros. On a vraiment essayé de libérer tous les espaces de restauration. On a aussi aménagé des pièces pour dormir un moment s'il le souhaite, pour essayer qu'ils trouvent ici un espace, un endroit le plus reposant possible. Quand on est joueur, on passe beaucoup de temps au stade. On attend beaucoup et pas toujours des conditions optimales. On les a aussi mis plus proche du stade... C'est plein de petits détails. C'était assurément un aspect que je voulais. Mais il y en a eu d'autres depuis. Ça, c'était vraiment ma vision de l'extérieur. La partie remplissage est un vrai challenge parce que pour le coup, ça fait des années qu'en tant que spectateur ou téléspectateur, on se dit 'ah, c'est dommage, entre midi et deux, la partie basse n'est pas pleine.' Donc, on a essayé cette année de mettre en place les tickets annexes up, ce qui était déjà dans les tuyaux depuis quelque temps. On a espoir, grâce à ça, quand on voit que la fréquentation est faible, de leur dire 'venez sur le court Philippe-Chatrier, vous aurez la possibilité de rester une demi-heure, une heure, deux heures.' On se doit d'essayer, on fera le bilan à la fin. Je pense que de remplir ce stade, c'est un challenge qui est très difficile à relever. Il ne faut pas se leurrer, le stade ne va pas être rempli à 100 % de A à Z, du premier au dernier jour. On essaye de mettre en place des choses pour que ça circule sur le Chatrier."
Sur l'instauration du Super Tie-Break dans le cinquième set : "Il faut montrer une unité"
"En fait, le grand public n'est pas toujours au fait des règles du tennis. Et encore moins quand les quatre Grands Chelems se terminent de quatre façons différentes. Nous, à Roland-Garros, on terminait avec deux jeux d'écart dans la dernière manche. Ce qui pouvait amener à 10-12, 15-17, etc. Ça peut être très long. Wimbledon était sur un Tie-Break en sept points au dernier set à 12 partout. L'Open d'Australie était sur un Super Tie-Break en dix points à six partout et l'US Open un Tie-Break à sept points à six partout. En bref, vous n'avez rien compris à ce que j'ai dit. Mais c'est normal parce que personne ne comprenait. L'idée, ç'a été vraiment pour les quatre Grands Chelems de commencer à montrer une unité. Alors évidemment, c'est triste de se dire qu'on ne reverra plus ces matches à rallonge. Mais malgré ça, pour le bien-être et la santé physique aussi, ce n'est peut-être pas plus mal. Je pense que les Grands Chelems aujourd'hui, dans un moment où le tennis est face à beaucoup de concurrence, que ce soit à la télévision, que ce soit en pratique, etc, je crois qu'il faut montrer une unité pour essayer d'avancer dans la même direction."
Sur Carlos Alcaraz, le jeune prodige espagnol de 19 ans : "Est-ce qu’il est déjà prêt ?"
"Je le regarde évoluer avec beaucoup d'intérêt. D'abord en tant que passionné de tennis, parce que je trouve qu'il a une énergie, un style de jeu, un charisme déjà incroyable. Sa précocité fait que c'est aussi très impressionnant. Pour la petite histoire, lorsque je travaillais avec Lucas Pouille il y a trois ans, en 2019, on l'avait vu, Lucas s'était entrainé avec Carlos, qui avait 16 ans. Il s'est étoffé depuis, il a pris du volume. Il y en a qui ont qu'ils l'avaient repéré beaucoup plus tôt. Il avait un truc dans l'attitude. Mais en tout cas, c'est impressionnant de voir les progrès qu'il a accompli, et puis mentalement, la façon qu'il a de gérer tout ça, il a déjà une maturité incroyable. Il surf sur une vague de confiance qui n'est pas à négliger non plus. Lorsqu'on a battu les meilleurs avant d'arriver sur un Grand Chelem et qu'on a remporté des titres, c'est une confiance énorme. Après, faire tout ce parcours au meilleur des cinq sets, est-ce qu'il est déjà prêt ?"
Sur Djokovic : "Il a une revanche à prendre"
"Je pense qu'il a faim. Quand on connaît son caractère, on sait qu'il se construit aussi parfois dans l'adversité. Je pense qu'il a une revanche à prendre sur ce qui s'est passé en Australie. Cette course qu'ils ont avec Rafa, ça aussi, je sais que c'est en lui. C'est une motivation énorme donc je pense qu'il est en train de monter en puissance."
Sur Iga Swiatek (Numéro 1 mondiale) : "La grande favorite de ce Roland-Garros"
"Clairement, je la vois comme la grande favorite de ce Roland-Garros. Elle est assez impressionnante quand même, on a l'impression que mentalement, elle traverse tout ça avec beaucoup d'aisance, un naturel incroyable. Elle domine, effectivement. Donc ça va être intéressant de voir si cette joueuse qui a gagné un Grand Chelem (à Roland-Garros, en 2021), arrive à s'installer un petit peu avec l'arrêt d'Ashleigh Barty (Ex-numéro 1 mondiale), à s'installer comme la patronne du tennis. On attend un peu ça, une, deux ou trois joueuses qui arrivent à dominer un petit peu plus et à se partager presque les tournois du Grand Chelem pour retrouver cette rivalité qui existe depuis beaucoup d'années chez les hommes, mais qui existait aussi dans le tennis féminin. Si on est dans cette route-là, ce serait une bonne nouvelle."
Sur la situation des joueuses et joueurs français : "Le grand champion, la grande championne, on peut le former"
"Jo-Wilfried (Tsonga) et Gilles (Simon), ils vont tout simplement disputer leur dernier Roland-Garros. Jo jouera son dernier match ici. Gilles a décidé de continuer un peu plus dans la saison, mais c'est vrai qu'ils appartiennent à une génération et forcément, il y aura de l'émotion en les voyant quitter la scène. On leur a prévu des choses, mais je ne veux pas en dire plus. C'est une demi-page qui se tourne puisqu'il reste Richard (Gasquet) et Gaël (Monfils). Pour l'instant, on regarde derrière et on n'est pas à ce niveau-là. On n'est pas au niveau qu'ils ont atteint. Ils ont été à un moment ou à un autre au top 'ten' (top 10). Donc c'est vrai que c'est très compliqué. On ne retrouvera pas forcément demain une génération de quatre joueurs comme ça qui arrivent au top 10. Donc ça, c'est une chose. Je crois que le grand champion, la grande championne qui va soulever un trophée du Grand Chelem, on peut le former. Mais il va se former, il va sortir après tout seul. Il faut le former techniquement, lui donner de bonnes bases. Mais je ne suis pas loin de penser qu'après, sur la dernière marche, c'est dans le bide du joueur ou de la joueuse que ça se passe et c'est à eux de mettre en place les structures, les gens, les bonnes personnes, de se regarder dans le miroir aussi pour pointer du doigt quand ça ne va pas, l'accepter et faire en sorte d'avancer quand c'est le cas. C'est évident qu'on est une grande nation de tennis. On a un grand chelem à la maison, on a envie de voir nos joueurs et nos joueuses briller, c'est clair."
Sur le tennis fauteuil, présent sur le court central cette année : "On se doit de mettre en avant le tennis fauteuil"
"C'était vraiment une volonté d'ouverture, d'inclusion. Et on a décidé de proposer sur la dernière semaine du tournoi, le vendredi et le samedi, du tennis fauteuil. Le samedi, ce sera une finale, c'est sûr. Le vendredi, ça peut être encore une demi-finale. On verra selon la programmation, selon si on a des Français encore dans le tournoi. Je crois qu'on se doit aussi de mettre en avant le tennis fauteuil, entre autres, aussi parce qu'on a les Jeux Olympiques de Paris qui arrivent, les Jeux paralympiques. Ça me semble naturel de le faire et j'espère que le public sera au rendez-vous aussi pour ces matchs-là."