5 heures du matin, au sud de Doha, quartier de Wakif. Le chant du muezzin est rythmé par le son des marteaux piqueurs. 24 heures sur 24, un balai incessant de grues et d'ouvriers se joue dans la capitale qatarienne qui, depuis 2010 et l’obtention de la Coupe du monde de football, est devenu un chantier à ciel ouvert. Des dizaines de milliers d’ouvriers s’y affairent nuit et jour. "C’est même un peu pénible au quotidien, il y a des travaux de partout, mais depuis un an ou deux, on y voit plus clair", confirme Stéphane, jockey français qui vit dans la péninsule depuis treize ans. "Mais c’est incroyable ce qu’ils ont fait depuis que je suis là. Il y a treize ans, ce n’était que du sable. On dirait que c’est fait au crayon à papier. Du jour au lendemain, on gomme, 'Ah, on a raté là'. C’est hallucinant."
Lusail, naissance d’une ville et d’un stade. Rien n'est trop beau ou trop grand pour le petit État, qui fait pousser les villes et les stades dans le désert. Avec un cas emblématique : Lusail. Situé à 15 km au nord du centre-ville de Doha, toute la commune ou presque est en travaux. Même les applications de cartographie ne sont pas encore tout à fait au point quand on cherche son chemin.
Mais une fois achevée, cette ville doit devenir le visage du nouveau Qatar : durable et moderne. Ce sont les termes qui reviennent le plus souvent dans la bouche des officiels qatariens. Ligne de métro, trames, la cité se façonne pour accueillir des milliers de touristes et supporters en 2022. "Quand on rentre de vacances, on voit des immeubles qui ont poussé en un été, je pense que ça va être énorme", souligne Myriam, qui vit à Lusail depuis quatre ans. "Quand je suis venu habiter à Lusail, j’avais l’habitude de marcher avec mon mari dans une ville fantôme."
Quarante milliards d'euros d'investissement. Et, pour opérer ces transformations, le Qatar y a mis les moyens. On parle de 40 milliards d’euros d’investissement pour transformer un tas de sable en gratte-ciels, marinas et centres commerciaux. "On a l’impression d’être dans une ville futuriste, même si c’est plus un quartier qui va faire partie intégrante de Doha", explique Myriam. "C’est énorme ce qui est en train de se faire. Cette Coupe du monde, c’est une grande fierté, notamment pour les jeunes. Le sport tient une très grande place, c’est rentré dans les moeurs."
À 48 ou à 32 ? Pour l’heure, le comité d’organisation se montre ferme sur le sujet du nombre de participants à la Coupe du monde, fixé à 32. "On comprend que la Fifa, avec qui nous sommes en discussion, étudient toujours la faisabilité qu’il y en ait plus (48, comme ce sera le cas en 2026, ndlr). Mais la Fifa est très claire : aucune décision ne sera prise sans l’accord du Qatar", rappelle à Europe 1 Nasser Al-Khater. Une certitude, le Qatar, pays hôte, sera bel et bien présent le 21 novembre 2022, date du coup d’envoi du Mondial.
La livraison du stade de Lusail, où aura lieu notamment la finale de ce Mondial, est prévue en 2020. L'enceinte, ultra-moderne, aura un système de climatisation inédit. "C’est mis en œuvre dans différents endroits du monde mais ça n’a jamais été fait sur un projet de ce niveau-là", raconte avec fierté Tamim El Abed, le chef de projet du stade. "Évidemment, sur le terrain, pour la sécurité des joueurs et pour qu’ils puissent jouer à leur meilleur, on maintiendra une température à 26 degrés et une température agréable pour les spectateurs."
L'épineux dossier des conditions de travail. Ce seront là des conditions idéales pour jouer au football, à la différence de celles qu'ont connues les ouvriers immigrés employés sur les chantiers. Ils seraient plusieurs dizaines de milliers à œuvrer à travers pays. À Lusail, rien que pour sur le stade, Ils sont 3.500 originaires d’Inde, du Pakistan, des Philippines, à se relayer nuit et jour, chiffre qui peut monter à 7.000 dans les périodes de rush. Et sous des températures de 26 degrés la journée en janvier, mais qui peuvent parfois dépasser les 45 degrés l'été.
"La question des aides sociales et des droits des travailleurs, on y travaille depuis le début, depuis qu’on a remporté l’organisation de la Coupe du monde", rétorque Nasser Al-Khater, secrétaire général adjoint du comité organisateur du Mondial 2022. "Et on est très heureux et fiers que notre travail, en tant que comité d’organisation, ait aussi créé du changement pour d’autres au Qatar. Ça a créé un élan de progrès. On est fiers de dire que cela a aussi poussé le gouvernement à changer des lois." Gilets de refroidissement, salaire fixe et jours de congés : les mesures prises ne suffisent pas pour assurer des conditions décentes, selon certaines ONG.
Marie-Laure Guislain est responsable du contentieux à Sherpa, association qui a réalisé deux enquêtes sur le sujet, en 2014 et en 2018. Selon elle, "les conditions de travail qu’on a pu observer à travers les témoignages" seraient "caractéristiques d'un travail forcé". "Les passeports étaient confisqués. Les travailleurs qu’on a pu interroger nous parlaient de conditions extrêmes, de 12 heures par jour sous 50 degrés au soleil sans protection adéquate", insiste-t-elle.
La dernière enquête Sherpa a abouti à une plainte du Comité contre l'Esclavage moderne dirigée contre Vinci, pour notamment travail forcé, réduction en servitude ou encore travail incompatible avec la dignité humaine. "La législation n’a pas assez changé pour garantir les droits fondamentaux des travailleurs, notamment d’un point de vue syndical, d’un salaire minimum et c’est que nous montrions déjà en 2014", analyse Marie-Laure Guislain pour Europe 1. "Même les entreprises ne respectent pas forcément les lois qatariennes qui sont pourtant parfois peu protectrices. Maintenant qu’il y a une amélioration de la législation, (il faut) qu’elle soit appliquée sur place par les grosses entreprises mais aussi par les sous-traitants."
Malgré les nombreuses critiques émise à l’internationale, le Qatar poursuit ses grands travaux et fait en sorte que tout soit livré pour 2020, soit deux ans seulement avant le début de la Coupe du monde, du jamais-vu dans l’histoire de la compétition. "J’ai grandi ici, et vous pouvez imaginer ce qu’on ressent, on est vraiment un tout petit pays. Et faire partie intégrante de ça, c’est un grand honneur, comme un rêve. Parfois, j’ai du mal à réaliser ce qu’on est en train de faire", confie à Europe 1 le chef de projet du stade de Lusail, Tamim El Abed.
Le Qatar vainqueur sur le terrain. Le pays organisateur du Mondial 2022 a remporté cette semaine son premier titre d'envergure, la Coupe d'Asie, en battant en finale le Japon, à Abu Dhabi, aux Émirats arabes unis. Samedi, l'équipe a reçu un accueil chaleureux de la famille royale qatarienne et de la foule réunie à Doha.