Alors que la finale de la Coupe de France masculine entre Nice et Nantes se tient samedi au Stade de France, l'arbitre Stéphanie Frappart a accordé une interview exclusive à Europe 1. À 38 ans, elle devient la première femme désignée pour arbitrer cette finale. L'arbitre était déjà devenue la première femme à arbitrer un match de Ligue 1 en 2019, la Supercoupe d'Europe la même année puis en Ligue des champions masculine fin 2020. Elle a aussi été sélectionnée parmi les arbitres de l'Euro féminin, prévu en juillet. Stéphanie Frappart évoque sa place d'arbitre en tant que femme, son avis sur l'arbitrage français ou encore la VAR.
Sur sa façon d'aborder les matchs :
C'est peut-être une de mes personnalités d'être plutôt sereine, confiante et concentrée. On est très concentré et très impliqué dans les décisions qu'on doit prendre.
Est-ce qu'elle rêve d'aller à la Coupe du Monde 2022 ?
Non, je rêve de rien. Je rêve de la finale de la Coupe de France. Je n'ai jamais essayé d'être visionnaire ou essayé de prendre les matches un peu plus loin. Je les prends un par un parce qu'on sait que dans l'arbitrage, du jour au lendemain, tout peut s'écrouler. Une décision, et voilà. On a vu certains de nos collègues qui ont eu des carrières stoppées avec une ou deux décisions qui étaient un peu défavorables. Nous, on est vraiment match par match, comme disent les joueurs, et c'est réellement ça.
Est-ce qu'être une femme lui porte encore préjudice ?
J'ai toujours été très bien accueillie par les clubs. Après, il y a eu quelques exceptions. J'ai été voir les clubs, les dirigeants, les joueurs et je n'ai jamais eu de préjugé ou de mot sur lequel on peut dire que c'est un peu sexiste ou autre. J'étais attendue et quand j'ai été attendue sur certains matches, notamment les matches de Ligue 1, j'ai montré que j'avais les compétences et au bout de trois matches, on m'a laissé un peu tranquille, plutôt d'un côté médiatique que du côté du terrain.
J'ai démarré en 1996, ça fait quelques années. Quand on arrive en Ligue 1, c'est qu'on a quand même l'expérience. J'ai fait à l'époque un an de CFA2 (cinquième division), deux ans de CFA (quatrième division), trois ans en National, quatre ans ou cinq ans de Ligue 2. Donc forcément, quand je suis arrivée, j'avais un bagage technique et une expérience importante. Je pense que d'avoir des filles au plus haut niveau, ça permet à certaines jeunes filles de se rendre compte qu'elles peuvent le faire. Plus il y aura de joueuses, plus il y aura d'arbitres, plus il y aura de dirigeantes.
Comment elle perçoit l'étonnement autour de sa nomination pour la finale de la Coupe de France ?
Je n'ai aucun réseaux sociaux, je ne lis pas les journaux, donc je suis très détachée par rapport à tout ça. On m'a fait part de quelque véhémence de certains, mais moi je ne m'y attache pas beaucoup. Je me rattache plutôt à la technique, aux décisions qui sont prises que de rester sur des 'on dit'. Franchement, je suis vraiment détachée de tout ça.
Son avis sur l'arbitrage français ?
À l'image de ce qu'on voit et des désignations qu'il y a à l'international, je pense que le travail en France est bon. Il y a toujours des choses à améliorer, il y a de plus en plus de désignations à l'international. On est reconnu. Que ce soit à l'UEFA ou à la FIFA, sur les grosses compétitions. Pour nous, c'est vraiment le point fort. Le travail paye. Le travail de la fédération et des instances paye aujourd'hui et tant mieux pour nous. On est quelques uns à être sur toutes les compétitions à l'UEFA et à la FIFA.
Quand est ce qu'un arbitre fait appel à la VAR (l'assistance vidéo) ?
Il faut se rappeler qu'il y a quatre critères. Les situations dans la surface de réparation, les buts, les cartons rouges et l'erreur d'identification. Il y a quatre entrées possibles par rapport à la VAR. C'est nous qui décidons, sachant que tout est vérifié. Toutes les situations qu'il y a dans la surface de réparation, toutes les situations d'exclusions directes par rapport à un rouge, tous les buts sont vérifiés. Après, il y a différentes situations ou on est appelé par notre collègue de la VAR. Nous, on doit expliquer ce qu'on a vu, comment on a décidé et après, en fonction des éléments, il va nous inviter à aller voir les images et on décidera de notre fait si la décision doit être changée ou pas.
Sur la sonorisation des arbitres :
Normalement, je n'aurai pas de micro pour la finale. Je n'aurai pas de micro parce que pour l'instant, la FIFA et l'IFAB, qui sont les garants des lois du jeu, ne le permette pas. Peut-être qu'à l'avenir, on aura des micros comme on avait eu auparavant, des évolutions comme les drapeaux électroniques. Après, on a vu le système de communication entre nous. Maintenant, il y a la VAR. Peut-être que, à moyen terme ou à long terme, il y aura cette possibilité de micro. Mais en tout cas, aujourd'hui, ce n'est pas possible sur les compétitions.
On est toujours ouvert à tout ce qui peut aider, et contribuer au rayonnement du foot. Donc, on n'a jamais été contestataires ou réfractaires par rapport à ça. Par contre, il faut nous donner les moyens et aussi peut être bien cadrer les choses parce qu'il y a des choses qui ne serait peut-être pas très opportun pour du public. Regarder un match de foot avec tous les commentaires des arbitres, c'est peut-être pas opportun, mais l'ouvrir dans certaines situations, ça peut l'être.
Pourquoi les arbitres ne s'exprime pas à la fin d'un match ?
Le temps d'expression, je pense, n'est pas le même que celui des joueurs. On a pu s'exprimer dans les médias, après plusieurs jours, parce qu'il y a besoin, après un match, de décompresser un peu, de prendre du recul. Parce que forcément, quand on est dans un match, qu'on soit un joueur, un dirigeant ou autre, on n'a pas forcément tous les éléments que le public ou les médias ont. Et donc c'est aussi peut-être se mettre en difficulté de reprendre trop vite, sans avoir cette capacité d'analyse, sachant que nous sommes les seuls qui reconnaissent nos erreurs quand on voit la VAR, quand on change une décision.
Sur les temps de prises de décisions de la VAR :
On a mis la VAR pour enlever un peu ce caractère difficile des prises de décision, notamment sur le hors jeu. Maintenant, nous, on ne fait qu'appliquer la règle. Donc ça peut mettre du temps. On comprend que l'émotion sur le terrain est un peu enlevée, par rapport aux joueurs, par rapport à cette émotion de but ou pas but, mais en tout cas, nous, on ne fait qu'appliquer la règle. Si la règle change, on s'y adaptera.
Comment gère-t-elle la pression autour d'elle avant la finale ?
Par expérience et par rapport à tout ce que j'ai un peu vécu, que ce soit en Ligue 1, en Supercoupe, en finale de Coupe du monde, plus on sera concentré sur la partie rectangulaire, c'est-à-dire le terrain et les décisions, plus les décisions seront bonnes et plus on sera à même de juger. C'est vrai qu'on a un gros travail pour sortir tout l'environnement autour et de vraiment se focaliser sur les décisions.
Est-ce qu'il y aura de plus en plus de femmes arbitres ?
Je l'espère. En Europe ou à la FIFA, il y a d'autres filles, et on le voit dans d'autres championnats, que ce soit au Brésil, on l'a vu à la Coupe du monde des clubs au Qatar il y a un an et demi, sur les Coupes du Monde U-17. Moi, je retransmets aussi toute mon expérience. Je travaille un peu avec les arbitres de D1 féminine qui évoluent dans le championnat de France pour les faire évoluer, pour leur apporter mon expérience et mon expertise. Et je vois qu'il y a de plus en plus de jeunes filles de qualité qui arrivent. Il faut aussi laisser le temps au temps parce que ce sont des jeunes filles qui vont arriver tranquillement au haut niveau.