Les mois passent et Kristina Mladenovic ne s’en sort toujours pas. La Française, qui dispute mardi matin le premier tour de l’Open d’Australie, n’a plus gagné la moindre rencontre sur le circuit WTA depuis juillet, à Washington. Avec 14 défaites d’affilée, le nom de la 11ème joueuse mondiale est désormais synonyme de "lose" sur les réseaux sociaux, où ses déboires ne manquent pas de susciter railleries et moqueries en tous genres. Mais comment la Française peut-elle s’extirper de cette terrible série noire et retrouver le goût de la victoire ? Europe 1 a posé la question à Cédric Quignon-Fleuret, psychologue du sport à l’INSEP (Institut national du sport, de l’expertise et de la performance, la pépinière du sport français) et auteur du livre "Devenir champion : la psychologie au service de la performance".
- Que dire à un sportif qui perd pendant des mois ?
Le psychologue du sport fonctionne sur une approche symptomatique : on oriente en fonction de ce qu’on analyse. La victoire, comme la défaite, sont à appréhender comme des symptômes. Or, on a souvent tendance dans le sport à donner une seule cause, comme quand on dit ‘cette équipe a perdu à cause du mental’. Les séries longues sont symptomatiques de quelque chose, mais aussi la somme de plusieurs facteurs physiques, psychiques…
Dans le cas de Kristina Mladenovic, il faudrait connaître tous ces facteurs. Il y a une histoire, un vécu qui lui est propre, mais également une partie intime qu’on ne connaît pas. Se livrer à une analyse s’avèrerait très hasardeux. Ce qui compte, c’est le récit de l’athlète à resituer dans un contexte.
- Une série de défaites peut-elle mener à perdre ses moyens ?
Il y a une citation très connue de Vince Lombardi (le légendaire entraîneur de foot américain qui a donné son nom au trophée remis au vainqueur du Super Bowl, ndlr), qui dit que "gagner est une habitude, perdre aussi". Du point de vue mental, les athlètes systématisent de manière inconsciente la victoire ou la défaite. Quand vous sortez d’une longue série d’échecs, l’inconscient peut s’habituer, normaliser que ça va mal se passer. L’enjeu est de lutter contre cet inconscient. Le sportif veut absolument gagner et peut donc en perdre de vue les moyens qui sont essentiels à sa réussite, comme la sérénité, l’intensité et le relâchement, et se focaliser uniquement sur le résultat brut.
C’est le même processus pour la victoire. On le voit notamment pour les grandes équipes, comme les Chicago Bulls dans les années 90 ou les Los Angeles Lakers de Magic Johnson. Ils avaient beau être menés de 10 ou 15 points, les joueurs eux-mêmes savaient qu’ils allaient gagner. Ils avaient systématisé, banalisé la victoire. C’est cela, avoir la confiance : savoir qu'on a les moyens pour renverser la situation et pour s’imposer contre n’importe qui.
- Avez-vous déjà été confronté à des sportifs dans une situation similaire durant votre carrière ?
(Rires) Oh oui, c’est mon quotidien ! L’absence de victoire est un motif de consultation fréquent pour un sportif. C’est normal dans l’expérience d'une vie d’athlète de traverser des périodes de défaites. Ceux qui ne les rencontrent pas sont chanceux. Mais pourquoi est-ce que ça vous interpelle chez Kristina Mladenovic ? Parce qu’elle gagnait. Si elle avait été une athlète moyenne, ça ne vous aurait pas interpellé. On remet la situation de Mladenovic dans un contexte : elle était dans une dynamique très positive, et maintenant elle est dans une dynamique très négative. C’est comme quand une équipe de football gagne beaucoup, puis perd.
Comme le Real Madrid en ce moment ?
Oui, exactement. On se demande donc quels sont les mécanismes qui font qu’une équipe ou qu’un athlète, qui gagnait tout, se met à perdre. C’est la réalité du sport de haut niveau, et c’est toujours à cause de plusieurs facteurs. La performance est un équilibre entre la technique, la récupération, la motivation… C’est une alchimie délicate. De très nombreux sportifs passent par des phases équivalentes. Alors oui, ce n’est pas toujours aussi flagrant que pour Mladenovic. Mais la plupart du temps, passer par ces phases amène à se questionner et donc à sortir grandi de cette expérience.