Tous les regards seront tournés vers lui. Alors que 198 coureurs prendront vendredi le départ du contre-la-montre inaugural de la 101e édition du Tour d’Italie, la présence de Chris Froome risque bien de faire passer le sportif au second plan, et ce tout au long des trois semaines de course. Sous le coup d’une enquête après son contrôle "anormal" en septembre à un anti-asthmatique pouvant avoir des effets anabolisants, le quadruple vainqueur du Tour de France a fait le choix de maintenir sa participation, provoquant le malaise au sein du peloton. Et son cas provoque déjà des sueurs froides aux organisateurs du prochain tour de France. Europe 1 fait le point sur le feuilleton qui agite le cyclisme.
Une présence sur le Giro qui dérange…mais légale
La présence de Froome sur la ligne de départ n’est évidemment pas sans conséquences sur l’ambiance de la course. "La situation autour de Froome est difficile et inopportune", a notamment grincé le Néerlandais Tom Dumoulin, tenant du titre. Mais rien dans le règlement n'empêche le coureur de la Sky de prendre le départ de la course, alors même qu’il est sous le coup d’une suspension. En effet, le code mondial antidopage du cyclisme est clair, et distingue actuellement contrôle positif et contrôle "anormal". Et le règlement du Giro ne permet pas à sa direction d'exclure un coureur n'ayant jamais été contrôlé positif.
La présence de Froome est également permise par la politique anti-dopage de son équipe, la Sky. À l’inverse de beaucoup d’équipes, elle ne fait en effet pas partie du Mouvement pour un cyclisme crédible (MPCC), dont les équipes membres suspendent les coureurs en attente d’une décision.
Assurant régulièrement de son innocence, Chris Froome n’est en réalité pas prêt à laisser passer l’occasion d’écrire l’histoire. S’il venait à s’imposer sur le Giro, il deviendrait en effet le troisième coureur à remporter trois grands tours de suite, après ses triomphes lors du dernier tour de France et de la Vuelta 2017.
Peut-il perdre un potentiel titre ?
S’il aura fort à faire, notamment face au Français Thibaut Pinot, au tenant du titre Tom Dumoulin, ou encore à l’Italien Fabio Aru, son expérience et son palmarès font de Froome le favori naturel de la course transalpine. Mais une possible future condamnation du coureur par le tribunal de l’UCI viendrait inéluctablement entacher une éventuelle victoire et mettrait les organisateurs dans une position très inconfortable. Devraient-ils alors retirer le titre à Froome, quand bien même la sanction concernerait un contrôle antérieur à la course ? Le directeur du Giro Mauro Vegni a lui confirmé jeudi que le Britannique ne perdrait pas son titre, affirmant avoir le soutien du président de l’Union cycliste internationale (UCI), le Français David Lappartient. Mauro Vegni souhaite en effet éviter de revivre le traumatisme de l’affaire Contador. En 2011, le champion espagnol avait remporté la course avant d’être détrôné pour contrôle positif au clenbutérol.
Mais la déclaration de Mauro Vegni reste à nuancer, le patron de l’UCI ayant plusieurs fois laissé entendre ne pas être sur la même ligne. "La logique voudrait que s’il devait être condamné, dans cette hypothèse-là, les classements obtenus entre les deux dates (dates du contrôle et de la sanction) devraient être enlevés", affirmait-il récemment auprès de la RTS.
Pourquoi le dossier traîne-t-il autant ?
Alors que le contrôle "anormal" date du 7 septembre, le cas de Froome n’est toujours pas réglé, et l’incertitude autour de la situation du coureur pourrait se prolonger jusqu’au Tour de France. Si le Tribunal antidopage de l’UCI, structure indépendante créée en 2015 a repris le dossier, les procédures "ont toujours pris plus de deux mois et demi, parfois jusqu’à un an, alors même que les cas étaient plus simples que celui de Froome", note Le Monde. Et selon les informations du quotidien, "le risque est désormais grand pour que le cas Froome ne soit pas tranché d'ici à juillet".
"La procédure est complexe", rappelle dans L’Équipe David Lappartient, ajoutant que le coureur a "plus de moyens que les autres et (…) a de bons avocats, comme nous". "Et puisque son argument consiste à dire qu’il a respecté les règles, il a développé de gros moyens d’investigations", conclut-il. En effet, selon La Stampa, la Team Sky a dépensé la bagatelle de 7 millions d’euros pour assurer la défense de sa tête d’affiche, mobilisant avocats et experts scientifiques.
Froome pourra-t-il participer au Tour de France ?
Du côté de l’organisation du Tour, on prie pour un dénouement rapide de la procédure. "Il n’est pas envisageable que le cas Froome ne soit pas réglé avant juillet", a martelé le directeur de la Grande Boucle Christian Prudhomme dans Ouest-France, alors que la course doit démarrer le 7 juillet.
Réaffirmant sa confiance en David Lappartient, il se dit "certain que le président de l’UCI nouvellement élu voudra mettre en avant l’éthique". Mais il refuse toutefois de se prononcer sur une éventuelle décision personnelle à venir, si d’aventure la décision de l’UCI n’était toujours pas prise. Avant de réclamer de nouveaux règlements "pour simplement qu’il y ait une suspension (provisoire), sans préjuger de la faute (…)".
Mais si ni Prudhomme ni sa société ASO n’ont confirmé cette possibilité, plusieurs médias britanniques dont le Sunday Times évoquent une carte restante dans le jeu des organisateurs, qui pourraient activer la clause d’atteinte à l’image de la compétition pour empêcher Froome de concourir. L'article 28.1 du règlement de la compétition stipule en effet qu'ASO "se réserve expressément la faculté de refuser la participation à - ou d'exclure de - l'épreuve, une équipe ou l'un de ses membres dont la présence serait de nature à porter atteinte à l'image ou à la réputation d'ASO ou de l'épreuve".
"Je pense que ce serait regrettable pour la course si le tenant du titre et quadruple vainqueur ne pouvait pas être au départ alors que les règles disent qu’il peut y être", a récemment déclaré Chris Froome. Pourtant, au delà de son propre cas, et quelqu'en soit le dénouement, c'est bien le cyclisme dans son ensemble qui ressort fragilisé.