En ce lendemain de réveillon, vous allez peut-être chercher un remède pour votre foie, sur Google par exemple. Mais aujourd’hui, vous n’y verrez pas le logo habituel du moteur de recherche. À la place, il y a un dessin, un petit personnage qui regarde le soleil se lever sur le premier jour de l’année. C’est ce qu’on appelle un "Doodle". On n’y prête pas toujours attention, mais il y en a des dizaines chaque année : pour les fêtes, les jours fériés, les dates anniversaire de personnalités… Ce sont des petits dessins interactifs réalisés par des artistes. Et notamment une Française, Hélène Leroux. Elle nous raconte son travail de l'ombre.
Une Frenchie chez Google
Cette Française de 32 ans, née à Paris, ne se destinait évidemment pas à dessiner pour Google. Après des études d'art et de graphisme, elle passe par l'école des Gobelins, dans la filière des films d'animation. Elle tente sa chance à Hollywood avant de partir pour Londres. C'est là-bas que, grâce à un ancien collègue, elle est débauchée, en 2015, par l'équipe Doodle de Google. "Ils ont regardé mon portfolio, j'ai passé des entretiens et j'ai été prise. J'ai passé trois ans dans leur bureau de Londres avant d'aller travailler en Californie", raconte Hélène Leroux.
L'équipe Doodle, composée d'une quinzaine de personnes, une moitié d'artistes et une autre d'ingénieurs, travaille sur les quelque 500 Doodle réalisés chaque année pour différents pays. "En tant qu'artistes, on apprend vraiment à travailler avec les ingénieurs, qui font un métier très éloigné du nôtre. En cela, c'est vraiment différent de l'animation", souligne Hélène Leroux. Dans une équipe majoritairement américaine, avec seulement trois Européens, Hélène Leroux est la seule française. "Ça aide beaucoup d'avoir des origines françaises quand il faut concevoir des Doodle spécifiques à la France. Je perçois mieux quel sujet va parler aux Français, la nostalgie qu'il peut susciter, etc.", estime-t-elle.
Et la dessinatrice de citer son exemple favori : un Doodle consacré au dessin animé Les Shadoks. "C'est le premier Doodle dédié uniquement à la France que j'ai fait, en 2016, pour les 48 ans de la première diffusion. Les Américains trouvaient ça rigolo, sans plus, ils l'avaient mis dans la liste comme ça. Moi, je me suis jetée dessus ! Ça me parlait tellement, Les Shadoks ça a bercé l'enfance de plein de monde en France", raconte-t-elle. Le résultat, c'est un Doodle utilisant les fameux personnages de Jacques Rouxel pour imiter le logo de Google.
Surprendre et informer
Mais, souvent, les artistes ne choisissent pas les sujets. Le Nouvel An, comme la Saint-Valentin, le 14-Juillet en France et le 4-Juillet aux États-Unis, Noël, etc., fait partie des "marronniers" : les événements prévisibles car ils reviennent chaque année à la même date. Avec, à chaque fois l'obligation d'innover pour le Doodle. "C'est pas simple mais on essaye !", lâche Hélène Leroux en riant. "Il faut arriver à surprendre. Pour la Saint-Valentin, j'ai fait un Doodle en forme de jeu vidéo avec des pangolins. C'est une espèce en danger donc on s'est dit que ce serait amusant de faire se rencontrer un couple de pangolin pour la continuité de l'espèce. C'est surprenant et éducatif", raconte-t-elle.
Même pour ces sujets redondants, le processus de création est très pointilleux. "Tout se décide l'été. L'équipe se réunit et on dresse la liste des milliers de sujets susceptibles d'être transformés en Doodle au cours de l'année suivante. La liste est soumise à des managers de Google travaillant directement dans les autres pays pour voir si elle pertinente. Il y a un gros tri qui est fait puis on dresse un calendrier et on répartit les sujets", explique Hélène Leroux.
En quatre ans chez Google, Hélène Leroux a réalisé, seule ou à plusieurs, "seulement" une trentaine de Doodle. Et pour cause, chaque création demande du temps. "Un 'simple' dessin prend environ une semaine. Une vidéo, ça peut être deux ou trois mois, et un Doodle interactif, jusqu'à six mois", explique la dessinatrice. "Et puis, au-delà de l'animation, pour chaque Doodle, on fait des recherches sur le sujet. Ça prend énormément de temps ! Pour les plus simples, on se document sur Internet. Mais pour d'autres, il faut fouiller. Quand j'ai dû faire un Doodle sur le Népal, j'ai lu des livres et regardé des films."
Expérimenter encore et toujours
Être une artiste chez Google, c'est aussi se confronter aux évolutions technologiques. "On essaye d'adapter la forme au sujet. On a pu faire des jeux vidéos et même de la réalité virtuelle", note-t-elle. Aidée par les ingénieurs de Google, Hélène Leroux a ainsi rendu hommage à Georges Méliès, en 2018 : "on voulait vraiment mettre en lumière son côté pionnier, inventeur. On s'est dit qu'il fallait avoir recours, comme lui à l'époque, aux technologies les plus récentes et on s'est tourné vers la réalité virtuelle". Un Doodle à retrouver en vidéo sur Youtube, avec ou sans casque de réalité virtuelle mais à 360 degrés.
"C'est un challenge permanent. On essaye toujours d'innover", s'enthousiasme Hélène Leroux. Après quatre ans, elle assure ne pas être lassée d'être cantonnée à un dessin de 300 pixels, elle qui pensait créer des films d'animation. "C'est un vrai défi d'intéresser les gens, de les convaincre de ne pas taper leur recherche tout de suite et de cliquer sur le Doodle", ajoute-t-elle. Pour ça, elle veut continuer d'explorer de nouvelles formes d'animation : "La réalité augmentée ça me plairait bien ! Ce n'est pas encore totalement à point mais bientôt j'espère".