"Alexa, quelles sont les nouvelles ?" Cette petite phrase – adressée à l’assistant vocal de l’enceinte intelligente d’Amazon mais qui peut être posée à celles de Google, Apple, etc. – pourrait bien révolutionner notre façon de consommer l’information. Les Home, Echo, Homepod et autres enceintes connectées débarquées récemment dans les foyers français permettent, par simple interaction orale, de tout connaître de l’actualité ou de consulter les dernières infos de ses médias favoris. Un usage parmi d'autres puisque les enceintes permettent aussi bien d'allumer les lumières que de lancer de la musique. De l’autre côté de la voix, les journaux, radios, sites et télés tentent de comprendre et de maîtriser ce nouvel outil.
Longue préparation. Disponibles, pour les premières, depuis plusieurs années aux États-Unis, et depuis quelques mois chez nos voisins européens, les enceintes intelligentes ont tardé à être commercialisées en France (Google Home en août 2017, Amazon Echo et Apple Homepod en juin 2018). Mais les médias n’ont évidemment pas attendu la sortie française pour s’intéresser à ces nouveaux gadgets technologiques. "Cela demande plusieurs mois de préparation", confirme Olivier Lendresse, directeur du numérique à Europe 1. "Par exemple, pour Amazon, nous avons commencé à discuter avec leurs équipes fin 2017."
Comprendre les aspects techniques des enceintes est une chose, savoir quoi en faire en est une autre. "Quand on a commencé à discuter avec Google et Amazon, on s’est demandé : ‘qu’est-ce qu’on sait faire ?’. La réponse est simple : de l’info. Donc on a pensé à un petit flash quotidien", explique Emmanuel Alix, directeur du pôle numérique du groupe L’Équipe. Un format assez classique pour lequel ont opté la plupart des médias d’information grand public.
Chacun ses armes. Miser sur ses points forts : c’est le leitmotiv des médias pour le lancement des enceintes. "C’est une nouvelle manière d’écouter la radio. La priorité était d’assurer les services essentiels : l’écoute et la réécoute de l’antenne", martèle Olivier Lendresse. Autrement dit, rendre disponible les flashs d’information diffusés sur Europe 1, dans ce cas précis, et les émissions et chroniques en replay.
Dans cette nouvelle bataille de l’info, chacun se bat avec ses armes. Radio et télévisions ont ainsi l’avantage de déjà délivrer les nouvelles avec la voix. A ce jeu, les stations de radio et les chaînes de télévision partent avec une petite longueur d’avance puisqu’ils ont déjà en interne le savoir-faire nécessaire pour produire de l’information audio. A L’Équipe, "les flashs quotidiens sont réalisés par des journalistes de La Chaîne L’Équipe", précise Emmanuel Alix. Chez Europe 1, comme chez les autres radios, ce sont les journalistes de l’antenne qui sont mis à contribution.
Les contenus priment sur la voix. "La maîtrise de la voix est un avantage mais à terme ce ne sera pas suffisant. Tout le monde pourra se développer dans la 'voix'", relativise Olivier Lendresse. En faisant appel à des journalistes passés par la radio ou la télé, Le Parisien a ainsi lancé son propre flash info, de deux à trois minutes, sur l’enceinte d’Amazon. "On voulait un ton décontracté, avec plus de chair qu’un flash info classique", raconte Pierre Chausse, directeur adjoint des rédactions du Parisien, auprès de Numerama.
Si la différence ne se fait pas sur la voix, elle se fera sur les contenus. "Le défi maintenant, c’est de renouveler les manières d’écrire l’information. Il faut se demander ce qu’on peut inventer. On travaille sur l’interactivité, les nouvelles formes de narration", avance Olivier Lendresse. Même défi du côté de L’Équipe, qui a déjà lancé une application en forme de quiz sur Google Home. Le concept est simple : l’assistant vocal pose les questions, vous répondez. Le quotidien sportif a également développé une éphéméride : "chaque jour, l’assistant vocal lit un texte qui raconte un événement sportif qui s’est passé ce jour-là", explique Emmanuel Alix. Des premières expériences qui permettent de tester les limites techniques de l’assistant et de se familiariser avec l’usage qui est fait des enceintes.
" Il n’y a pas encore de modèle économique "
Nouvelles pratiques. La nécessité pour les journaux de se faire une place dans les enceintes intelligentes favorise également l’émergence de nouveaux acteurs "spécialistes de la voix". Le plus connu est sans doute Binge Audio, plateforme qui diffuse des podcasts et produit ses propres contenus. Après avoir bouleversé le monde des podcasts natifs, Binge a logiquement poursuivi son expansion sur les enceintes en adaptant ses contenus, agrémentés en plus d'un flash d'information quotidien. Les fondateurs de la plateforme ont ainsi épaulé Le Parisien sur les questions techniques en apportant leur expertise de l’audio.
Une forme de sous-traitance qui pose la question du modèle économique. "Aujourd’hui, on ne se rémunère pas", reconnaît Pierre Chausse, du Parisien, auprès de Numerama. Le quotidien dépense même de l’argent, "pas beaucoup", pour produire ses flashs audio sur l’enceinte d’Amazon, réalisés par des journalistes employés à la pige. Même plus coûteuse, cette solution reste souvent préférée au "text-to-voice", outil permettant de faire lire à l’assistant vocal un texte écrit, mais avec un produit final moins fluide, plus "robotique".
Objectifs flous. "Il n’y a pas encore de modèle économique sur les enceintes intelligentes, on ne gagne pas d’argent", confirme Emmanuel Alix. "La seule possibilité serait de faire sponsoriser le flash par une marque mais pour l’instant ce n’est pas envisageable du côté d’Amazon, Google et Apple." Mais à croire les responsables numériques des médias, l'important n'est pas de se rémunérer mais d'être présent dès le début. "Notre logique est simple : là où il y a un usage, L’Équipe doit être présent", soutient Emmanuel Alix. "L’idée c’est d’accompagner notre public historique dans ces nouveaux usages et d’aller en chercher un nouveau", ajoute de son côté Olivier Lendresse.
En ce qui concerne les objectifs chiffrés, on se laisse du temps. "On n’a pas d’attente en termes d’audience. C’est surtout un enjeu de communication, il faut être présent dès le lancement. On espère que ça va prendre", note Emmanuel Alix. "L’enjeu est de savoir si le taux très élevé d’équipement aux États-Unis (un adulte sur cinq possède déjà une enceinte, ndlr) peut être reproduit en France." Au quatrième trimestre 2017, il se serait écoulé 250.000 enceintes intelligentes dans l’Hexagone, alors que seule celle de Google était disponible. Et le responsable du numérique du quotidien sportif de conclure en temporisant : "Pour l’instant, il faut laisser le temps aux usagers de s’approprier ces enceintes intelligentes."