Cambridge Analytica : ce nom était encore inconnu du grand public il y a quelques jours. Pourtant, c'est cette entreprise britannique qui plonge Facebook dans la tourmente depuis le début de la semaine et lui fait perdre plusieurs milliards en bourse. La société, qui a travaillé sur la campagne numérique de Donald Trump, est en effet accusée d'avoir collecté illégalement les données personnelles de 50 millions d'électeurs américains pour leur afficher des messages ciblés en faveur de la campagne du républicain.
Outre cette importante chute en bourse, le réseau social est désormais dans le viseur des autorités. Les procureurs du Massachusetts et du Connecticut, aux États-Unis, ont déjà lancé des enquêtes. La Commission fédérale du commerce (FTC), l’organisme public américain chargé de veiller à la protection des consommateurs et de la concurrence, a fait de même. De nombreux membres du Congrès ont également appelé de leurs vœux l'ouverture d'une enquête fédérale. En Europe, d'où vient Cambridge Analytica, les autorités pressent Facebook de répondre à leurs questions. Le fondateur et patron du réseau social, Mark Zuckerberg, a été convoqué mardi par une commission parlementaire britannique. Il est également invité à venir s'expliquer devant le Parlement européen. Pour l'instant, ce dernier est resté silencieux. Un communiqué diffusé par Facebook mardi soir indique simplement que "Mark, Sheryl (la numéro 2 du réseau social, ndlr) et leurs équipes travaillent jour et nuit pour réunir tous les éléments sur le sujet et prendre les mesures appropriées pour avancer, car ils comprennent l'importance de ce problème". Le réseau social s'est également dit "scandalisé" par les abus de Cambridge Analytica.
Cette affaire n'est pourtant pas la première qui met en cause Facebook pour ses failles de sécurité ou son utilisation frauduleuse dans le cadre de l'élection présidentielle américaine de 2016. Malgré cela, l'affaire Cambridge Analytica a un retentissement nettement plus important. Explications.
Facebook accusé d'être au courant depuis 2015
L’attitude de Facebook est d’abord fortement pointée du doigt. Le réseau social est accusé d'avoir été mis au courant des agissements de Cambridge Analytica dès 2015 par des articles de presse. A cette époque, l'entreprise britannique récupère depuis déjà deux ans les données personnelles d'électeurs américains pour leur afficher, ensuite, des messages ciblés. Facebook n'autorisant pas la collecte et l'utilisation de données à des fins électorales, la société se met en quête d'un subterfuge. Elle décide donc de passer par un chercheur de l'université de Cambridge, Aleksandr Kogan. C'est lui qui développe l'application que va utiliser la société pour récolter les données des utilisateurs. Baptisée Thisisyourdigitallife, l’application se présente sous forme d’un questionnaire. Afin d'encourager les internautes à y répondre, ces derniers sont rémunérés.
Lorsque le réseau social est alerté en 2015, il annonce "enquêter avec soin" sur ces allégations et finit par suspendre provisoirement l’application et réclamer aux protagonistes de l’affaire qu’ils suppriment les données collectées. Mais Facebook n'a pas vérifié que les données avaient effectivement été détruites. C'est aujourd'hui ce qui est reproché au réseau social, d'autant qu'il n'a suspendu définitivement l'application que samedi. Si Cambridge Anaytica assure avoir supprimé les données en 2015, des enquêtes du New York Times et du London's Observer publiées ce week-end montrent le contraire. Suite à ces accusations et une enquête de Channel 4 dans laquelle Alexander Nix, le PDG de Cambridge Analytica, se vante de pouvoir faire chanter des politiques en ayant recours à des prostituées, ce dernier a été suspendu mardi soir.
Utilisation politique des données
Si Facebook se retrouve ainsi accusé c'est également que, contrairement aux précédentes affaires, l'affaire touche son cœur de métier : les données personnelles et leur sécurité. Ce sont en effet les données fournies par ses utilisateurs pour permettre aux annonceurs de leur afficher la publicité la plus pertinente possible, et à Facebook de gagner de l’argent. C'est en revanche la première fois que les données des utilisateurs sont utilisées à des fins politiques et notamment pour la campagne présidentielle américaine. "On a fait des recherches, collecté des données, trouvé des gens à cibler. On a piloté toute la campagne numérique et télévisée et les données que nous avons collecté ont permis de décider de toute la stratégie", se vantait le patron de Cambridge Analytica dans une vidéo dévoilée par Channel 4 qui semble confirmer que des données personnelles ont bien été utilisées pour la campagne du milliardaire.
De son côté, Facebook se défend et se dit "scandalisée d'avoir été trompée" par l'utilisation des données de ses utilisateurs. "Si les faits rapportés sont avérés, c’est un détournement grave de nos règles. Toutes les parties impliquées - SCL Group, Cambridge Analytica mais aussi Christopher Wylie (qui a lancé l'alerte, ndlr) et Aleksandr Kogan - nous ont certifié que les données avaient été détruites. Nous prendrons les mesures nécessaires pour que ces données soient effectivement détruites une bonne fois pour toutes et nous agirons également contre tous les protagonistes qui n’étaient pas en règle", a expliqué Paul Grewal, vice-président et avocat général de l’entreprise, dans une déclaration transmise à Europe 1.
Une affaire de plus
Un dernier point joue également en défaveur de Facebook : l'accumulation. Ce scandale est en effet loin d'être le premier dans lequel le réseau social est impliqué. Il a en effet déjà été mis en cause, tout comme d'autres réseaux sociaux, pour les achats de publicités par des groupes russes au moment de la campagne présidentielle. Les responsables de Facebook avait d'ailleurs été obligés de témoigner devant le Congrès américain et de fournir toutes les informations susceptibles de faire avancer l'enquête. En fin d'année, il avait indiqué que 29 millions de personnes avaient été directement destinataires de publications émanant de l'Internet Research Agency, l'organe de propagande en ligne présumé du Kremlin. Avec les rediffusions, 126 millions d'utilisateurs auraient même été touchés.
Enfin, toute la campagne américaine a été ponctuée par la diffusion de fausses informations (fake news) sur les réseaux sociaux, dont Facebook. Or, l'algorithme du réseau social, qui favorisait les contenus faisant fortement réagir les internautes (ce qui est le cas des fake news), est accusé d'avoir amplifié leur diffusion. Une accusation qui a conduit Facebook à modifier profondément son logiciel au début du mois de janvier. Le réseau social avait alors décidé de favoriser les contenus publiés par des amis, au détriment des médias et de mettre davantage en avant les contenus des médias locaux.