Souveraineté, indépendance… Ariane 6, un vol aux enjeux multiples

Ce jeudi 6 mars, la fusée Ariane 6 devait s'envoler dans l’espace avec à son bord un satellite militaire, pour garantir à l’Europe un accès direct à l’espace, avant que le lancement ne soit reporté. Philippe Steininger, conseiller militaire du président directeur-général du CNES, nous explique les intérêts de ce vol inaugural.
Initialement prévu le 26 février, le décollage de la fusée Ariane 6 avait été reporté au lundi 3 mars puis à aujourd'hui, du fait d'une "anomalie au sol." Ce jeudi 6 mars, la fusée Ariane 6 devait s'envoler dans l’espace avec à son bord un satellite militaire, le CSO 3, à quelques centaines de kilomètres de la Terre, avant que le groupe Arianespace n'annonce un nouveau report de son lancement. Philippe Steininger, conseiller militaire du président directeur-général du CNES, nous explique les intérêts de ce vol inaugural.
Un satellite pour concrétiser la stratégie spatiale de défense
Avec Ariane 6, la souveraineté de l’Europe dans l’espace se consolide. Issue du programme spatial de défense français, lui-même inscrit dans la loi de programmation militaire 2024-2030, la mission vise à assurer la défense des intérêts français et européens dans l'espace.
En peine depuis plusieurs mois avec la fin de vie d'Ariane 5, les problèmes techniques de Vega et à l'arrêt de la coopération avec la Russie, l’Europe retrouve enfin sa souveraineté avec Ariane 6 et le satellite militaire qu’elle transportera.
“La mission du 6 mars est doublement intéressante pour la France, car c'est le lancement d'un satellite militaire français nommé CSO 3 (Composante Spatiale Optique)”, explique Philippe Steininger. “Et c’est aussi le premier vol commercial d’Ariane 6, qui a déjà volé une fois en juillet 2024 pour un vol de qualification sous l'égide de l'ESA, l'Agence Spatiale Européenne.”
Si la mission réussit, Ariane 6 pourra dans le futur lancer des satellites militaires et civils de manière indépendante. Elle aura également pour mission de placer en orbite des satellites commerciaux pour des clients comme Amazon.
"Arianespace a déjà engrangé 18 contrats de lancement avec Amazon, pour mettre en orbite une constellation de connectivité qui s'appelle Kuiper”, un projet d'infrastructure pour l'internet par satellite de la société Amazon.
Ne pas se reposer éternellement sur les lanceurs russes
Si l'Europe a un accès autonome à l'espace depuis plusieurs dizaines d’années, ce dernier a disparu durant plusieurs mois en 2023. Jusqu’en 2022, l’Europe envoyait alors des satellites en orbite avec des fusées russes Soyouz depuis Kourou, en Guyane française.
Mais avec la guerre en Ukraine, le Vieux continent a cessé ce partenariat avec la Russie. “Nous n'avions plus la possibilité d'utiliser Soyouz. De plus, du côté européen, le lanceur Ariane 5 arrivait en fin de vie mi-2023 alors qu’Ariane 6 n'était pas encore prêt, il n’y avait pas de tuilages entre les programmes.”
“Et les vols du lanceur européen Vega ont connu des échecs qu’il a fallu comprendre. En 2023, il était donc impossible de lancer de manière souveraine.” Mais la France et l’Europe ne comptaient pas se reposer sur les lanceurs russes éternellement, bien au contraire : les lancements avec Soyouz avaient de toute façon vocation à s'arrêter avec l'arrivée d’Ariane 6.
“La loi permet de terminer le renouvellement de la génération de satellites dont on disposait. Par exemple, Syracuse 3 a été remplacé par Syracuse 4, Hélios 2 a été remplacé par CSO”, rappelle l’ancien commandant des Forces aériennes stratégiques.
Retrouver le ciel pour mieux contrôler la terre
La loi sur la programmation militaire trace la programmation des systèmes que les armées françaises doivent acquérir sur les années 2024-2030, le spatial de défense y est pris en compte. Une stratégie de défense a été mise en place, visant à connaître la situation spatiale et permettre à l'Europe de riposter à un acte hostile touchant nos intérêts dans l'espace.
“Il y a eu un rapprochement inquiétant entre la Russie et l'Amérique qui marginalisent ou qui latéralisent l'Europe dans le règlement du conflit en Ukraine. Je crois que tout le monde, le chef de l'Etat en tête, est convaincu qu’aujourd’hui, il n’y a plus de défense sans espace et plus d'espace sans défense. Il faut donc faire des efforts dans ce domaine."