C'est une bien étrange façon de célébrer le vingtième anniversaire de la victoire des Bleus en finale de la Coupe du monde. Leur capitaine, Didier Deschamps, et leur meilleur buteur lors de la compétition en 1998, Thierry Henry, seront opposés, mardi, en demi-finales du Mondial 2018. D'un côté, Didier Deschamps, 49 ans, est sélectionneur de l'équipe de France depuis 2012. De l'autre, le meilleur buteur de l'histoire des Bleus (51 buts), 40 ans, sera assis sur le banc des Belges. Il est depuis deux ans l'un des adjoints du sélectionneur espagnol de la sélection belge, Roberto Martinez, ancien coach reconnu en Angleterre.
"Ça fait bizarre". "C'est une situation difficile pour lui", a estimé Didier Deschamps en conférence de presse. "Ça arrive en club quand vous êtes dans un club étranger et jouez une équipe française. Là, c'est un cran au-dessus mais il le savait très bien que ça pourrait être un cas de figure."
Dimanche, le sélectionneur des Bleus avait employé le terme de "bizarre" pour qualifier ces retrouvailles. "Oui, ça fait bizarre. Je suis content de le revoir, parce que là, je suis sûr de le revoir… Parce qu'il est pas mal pris, on ne se croise pas tout le temps", avait réagi "DD" dans l'émission Téléfoot, taclant gentiment au passage un Henry désormais bien loin du football hexagonal. "Oui, ça fait bizarre parce qu'il est français et qu'il va être sur le banc de l'adversaire. Pour lui aussi, je pense que ça va être bizarre."
Henry, taiseux sur ses sentiments. Et Henry, que pense-t-il de la situation ? On ne le saura pas. L'ancien attaquant d'Arsenal, grand connaisseur du ballon rond et consultant émérite pour Sky Sports, parle très peu de lui et de ses sentiments. Tout juste devinait-on une bonne dose d'amertume dans ses rares confessions, l'an dernier, quand il expliquait que la Fédération française ne lui avait pas proposé de poste.
"Perdu de vue". "On l'a un peu perdu de vue, il a peu de contacts avec la Fédération. (…) C'est la vie qui est comme ça. Il est en Angleterre depuis longtemps, j'ai très peu de contact pour ma part", a souligné la président de la "3F", Noël Le Graët, avant de souligner l'apport que l'ancien avant-centre des Bleus a pu avoir sur les rivaux belges. "Il a donné à cette équipe une envie d'attaquer. Les attaquants viennent le voir. Il est estimé. Il a choisi peut-être la bonne solution, être adjoint, comme l'a fait (Zinédine) Zidane il y a quelques années (avant de prendre en main le Real Madrid, ndlr). C'est sûrement mieux dans un premier temps d'être adjoint d'une équipe nationale, même s'il espérait Arsenal. Il a sûrement une carrière d'entraîneur devant lui."
En attendant, cette carrière se dessine donc loin des Bleus, dont il a participé à écrire la légende (vainqueur du Mondial 98 et de l'Euro 2000, meilleur buteur de l'histoire, deuxième joueur avec le plus de sélections derrière Lilian Thuram…), et loin de Didier Deschamps, pour qui il n'est pas question de regrets à l'heure de retrouver son ancien coéquipier. "Ce n'est pas une histoire de ne pas regretter", a-t-il encore confié dimanche. "Je n'ai pas eu une demande ou quoi que ce soit. Voilà, je suis content pour lui. Il a eu une carrière de joueur fabuleuse et il s'est lancé dans cette deuxième vie qui est compliquée." Henry ne s'est pas proposé et on ne lui a rien proposé : voilà en résumé ce que nous disent les deux parties.
Une histoire d'amour qui se termine mal. Les anciens de France 98 comprennent le choix de Thierry Henry. Ils l'avaient dit au micro d'Europe 1, le mois dernier, lors du match anniversaire à la U Arena. Bixente Lizarazu l'écrit jeudi dans L'Équipe, dont le titre de Une, "Nous nous sommes tant aimés", avec les visages de "DD" et de "Titi", est légèrement exagéré (Henry et Deschamps n'ont passé que deux ans ensemble chez les Bleus, et six mois à la Juventus Turin). "Ce sont les circonstances de leurs chemins respectifs comme entraîneurs qui emmènent deux champions du monde français à s'opposer. Ça ne me pose pas de problème, et je ne serai pas de ceux qui s'en offusqueront. Au contraire, je suis content pour Thierry Henry", juge "Liza". Il faut rappeler que l'histoire entre Henry et les Bleus s'est mal terminée, après l'affaire de la main contre l'Irlande, puis le Mondial 2010 en Afrique du Sud, marqué par la grève de l'entraînement à Knysna, un Mondial que Thierry Henry vit essentiellement depuis le banc des remplaçants.
"Le principal adversaire de la France". Huit ans plus tard, c'est toujours depuis le banc qu'il verra évoluer les Bleus, mardi, mais cette fois, ce sera celui adverse. Et certains estiment qu'il aura un grand rôle à jouer dans cette demi-finale. "J'irais même jusqu'à dire que le principal adversaire de la France mardi sera assis sur le banc de touche belge", a commenté l'ancien gardien des Diables rouges lors du Mondial 1986, Jean-Marie Pfaff. "Thierry Henry joue un rôle extrêmement important auprès de Martinez. Il lui demande son avis régulièrement, il l'écoute. Je pense que certaines variantes tactiques sont à mettre au crédit de Thierry Henry." En plus de conseiller les attaquants belges, "Titi" va-t-il aider à mettre en place un plan anti-Olivier Giroud, qu'il connaît bien et qui a occupé son poste à Arsenal, ou Kylian Mbappé, présenté comme son héritier en équipe de France ? Ce serait cruel, mais Henry a toujours été un grand professionnel…