Laurent Blanc embrassant son fils après son but en or, Lilian Thuram glissant le disque Suprême NTM dans sa chaîne Hi-fi, Bernard Diomède dansant le zouk dans sa chambre d'hôtel… Plusieurs scènes issues des "coulisses" de la vie de l'équipe de France 1998 sont restées cultes. Toutes ont un point commun : elles ont été découvertes par le public grâce aux Yeux dans les Bleus, un documentaire de Stéphane Meunier, autorisé à suivre l'effectif tout au long de la compétition. Vingt ans plus tard, et alors que la France vient de décrocher sa deuxième étoile, un film du même genre - Les Bleus 2018, au coeur de l'épopée russe - sera diffusé sur TF1, mardi soir. Aussi précieux soient-ils, les instants de vie captés par les deux journalistes l'ayant réalisé ne feront, cette fois, pas figure d'unique récit de la compétition : depuis le début du Mondial, les supporters la suivent à l'hôtel, dans le bus ou les vestiaires des joueurs... sur Instagram.
Des stories pas si éphémères. Via le réseau social, qui appartient à Facebook, les Français ont pu suivre les péripéties des Bleus du début à la fin. La valise de Presnel Kimpembe, qui jugeait plus prudent de glisser sa console de jeu dans son bagage à main avant le départ pour la Russie, début juin. Les Bleus soulevant chacun un coussin au numéro de leur maillot, dans la salle de projection de l'équipe de France, sur le compte de Kylian Mbappé. Le dab de Benjamin Mendy et Paul Pogba dans le vestiaire, après la victoire face à la Croatie, au côté… du président de la République Emmanuel Macron, se prêtant volontiers au jeu. Et puis, de retour en France, la descente des Champs-Elysées, filmée depuis le bus des joueurs. Des scènes parfois postées directement en ligne ou, le plus souvent, sous la forme de "stories" éphémères mais enregistrées par les fans - et les médias - avant leur disparition.
C'est quoi une story ?
En quelques années, le format story est devenu incontournable pour les entreprises du web. Développé et popularisé par Snapchat, puis adapté aux médias en 2015 avec Discover, le format a depuis été largement copié par les autres réseaux sociaux. Et notamment Instagram, racheté par Facebook, qui propose depuis août 2016 cette fonctionnalité à tous ses utilisateurs.
Une story est une fonctionnalité permettant aux utilisateurs de construire un récit en temps réel. Récit qui consiste en un enchaînement de courtes séquences vidéo et/ou de photos. Les images peuvent être agrémentées de texte, d'autocollants, d'émojis et autres petites animations graphiques. Elle disparaissent au bout de 24 heures mais peuvent être enregistrées et stockées sur un smartphone.
Le foisonnement de ces posts est-il à relier à l'enthousiasme qui entoure l'équipe de France depuis sa victoire face à l'Argentine, en huitièmes de finale ? Sûrement un peu. Mais le phénomène ne date pas d'hier. Interrogé sur l'affaire Serge Aurier - qui avait insulté son coach Laurent Blanc sur Periscope -, Didier Deschamps avait dit sa méfiance pour les réseaux sociaux dès 2016, sans pour autant les bannir. "Ça fait partie de la vie d'aujourd'hui, il faut la cadrer, c'est tout. Je ne me sens pas de prendre une position radicale et d'interdire. De quel droit j'interdirais ?", interrogeait le sélectionneur. "Il faut savoir ce qu'on met en termes de photos et de commentaires", prévenait-il. "Quand on était au Brésil (pour la Coupe du monde 2014, ndlr), dans notre camp de base, il y avait une ou deux piscines. Si les joueurs se prennent en selfie autour de la piscine, il n'y a rien de mal. Mais si en France ils se disent : 'mais qu'est-ce qu'ils font là-bas, ils sont en train de faire du tourisme, ils bronzent' ?"
Pas de portable à table ou dans le vestiaire. En Russie, la règle était donc claire : Deschamps "n'interdit rien, mais met en garde sur le fait que les conséquences peuvent être grandes après un seul message publié", selon son adjoint Guy Stéphan. "Il n'y a pas de portable à table ni dans le vestiaire, lors des entraînements ou avant les matches." Des consignes globalement respectées au vu des images et vidéos publiées par les joueurs, dont les plus gros "Instagramers" sont sans nul doute Benjamin Mendy et Presnel Kimpembe. "En 98, s'il y avait eu Twitter, 'Insta', Snapchat', ils l'auraient fait. C'est notre vie maintenant, tout le monde vit comme ça, pour avoir des infos. C'est la nouvelle génération, c'est 2018", a justifié Paul Pogba devant la presse, à la fin de la compétition.
Un changement d'époque également entériné par l'un des "vieux" champions du monde, Marcel Desailly, interrogé par l'AFP avant le titre. "Mon enfant est différent de ce que j'étais quand j'étais ado, ça a évolué", estime-t-il. "Avec la manière dont ils (les joueurs d'aujourd'hui, ndlr) s'exposent, on croit qu'ils rigolent mais derrière il y a tout un 'business'. Donc il faut l'accepter, il faut savoir vivre avec son temps". Car sur "Insta", les jeunes champions - 25 ans et 10 mois de moyenne d'âge - pèsent lourd : 19,8 millions d'abonnés pour Antoine Griezmann, 26,1 pour Paul Pogba et 14 pour Kylian Mbappé, dont les vidéos sont vues et "likées" des millions de fois quelques heures seulement après leur publication. À la traîne, deux des plus "anciens" de l'effectif de Didier Deschamps : Hugo Lloris, suivi par "seulement" 726.000 personnes depuis la création de son compte en février, et Olivier Giroud, qui n'en alimente aucun.
Entre deux films d'ambiance, les joueurs publient parfois des vidéos tournées par leurs sponsors, à l'image de Paul Pogba pour le site Wish ou la marque Adidas. Jeune prodige et star du mondial, Kylian Mbappé partage lui des photos siglées Nike, son seul sponsor. "Il a certainement le potentiel, le charisme, la qualité de jeu. Je pense que le temps le dira, mais nous sommes vraiment fiers d'être associés à Mbappé et de notre relation avec lui", confiait la marque à la virgule à l'AFP à la veille du deuxième sacre des Bleus. Tout au long de la compétition, les contenus promotionnels sont cependant restés largement minoritaires sur les comptes des Bleus. "Dans l'instant, je ne pense pas que les joueurs ont cette stratégie marchande de communication", a expliqué à BFMTV le professeur d'économie du sport Pierre Rondeau. "Ils le font parce que c'est générationnel, parce que tous les jeunes de leur âge le font."