Les deux plus gros distributeurs français épinglés pour "pratiques restrictives de concurrence": après le leader E.Leclerc, et à l'approche du prochain round des négociations annuelles avec les fournisseurs agro-industriels, la centrale d'achats européenne de Carrefour a écopé vendredi d'une amende administrative de 10,3 millions d'euros. Il est reproché au distributeur "12 manquements à son obligation de signature des conventions conclues avec ses fournisseurs au plus tard les 15 et 31 janvier 2024", indique la Répression des Fraudes (DGCCRF) sur son site internet. En d'autres termes, de ne pas avoir respecté le délai légalement imparti pour négocier les conditions auxquelles ses fournisseurs agro-industriels vont lui livrer la production ensuite écoulée dans ses rayons le reste de l'année.
Le seul distributeur du CAC 40 a critiqué "une forme d'absurdité bureaucratique" et annoncé vouloir contester l'amende "sur tous les terrains juridiques possibles", anticipant une procédure qui va durer.
Des négociations en perspective
La DGCCRF, service du ministère de l'Economie, est chargée de surveiller les négociations qui ont lieu chaque année entre la grande distribution et ses fournisseurs agro-industriels, aux termes desquelles ils s'accordent sur les conditions de vente d'une partie des produits commercialisés en grandes surfaces le reste de l'année.
Traditionnellement tendues, elles ont lieu entre la fin d'année civile et le 1er mars, sauf cas exceptionnel comme en 2024. Le gouvernement français avait alors avancé la date de conclusion des négociations de quelques semaines, espérant faire redescendre les prix des produits dans les supermarchés.
Carrefour rappelle d'ailleurs avoir "accepté de manière dérogatoire et exceptionnelle la demande du gouvernement de raccourcir les délais de négociation" et assure qu'il est "seulement reproché à notre centrale d'achat d'avoir signé avec quelques jours de retard des contrats avec de grandes multinationales qui avaient tout intérêt à jouer la montre et qui n'ont pas grand-chose à voir avec le monde agricole français".
Ces négociations sont accusées de tirer vers le bas les prix payés aux producteurs agricoles et les gouvernements successifs sous Emmanuel Macron ont multiplié des lois dites "Egalim", censées mieux les encadrer.
Les distributeurs sont de plus en plus nombreux à baser une partie de leurs négociations commerciales hors de France, pour améliorer leur rapport de force avec les multinationales comme Danone, Nestlé ou Unilever selon eux, pour contourner les législations françaises selon les industriels et une partie de la classe politique.
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Soutien au monde agricole
Cela leur vaut des critiques des syndicats agricoles, pour qui les supermarchés et leurs centrales d'approvisionnements sont des lieux récurrents d'expression de mécontentement. Cette semaine, des centrales d'achat des grandes enseignes ont été ciblées en Charente, Corrèze, dans le Lot-et-Garonne, les Landes, le Tarn et le Tarn-et-Garonne par différents cortèges d'agriculteurs mécontents.
Le groupe de suivi des lois Egalim de la commission des affaires économiques du Sénat a appelé mercredi Bercy "à prononcer systématiquement des sanctions à l'encontre des centrales étrangères qui ne respectent pas le cadre défini par les lois Egalim".
Carrefour n'est pas le seul distributeur à négocier une partie de ses achats à l'étranger: E.Leclerc, qui détient près du quart du gigantesque marché français de la grande distribution (environ 250 milliards d'euros de chiffre d'affaires annuel), partage la centrale Eurelec avec l'Allemand Rewe et la chaîne belgo-néerlandaise Ahold Delhaize.
L'instance basée à Bruxelles, en Belgique, a écopé cet été de 38 millions d'euros d'amende, pour n'avoir pas respecté les délais des négociations avec 62 de ses fournisseurs, annonçait alors la DGCCRF.
Le numéro 3 du secteur, Les Mousquetaires/Intermarché, devrait rejoindre les vastes centrales européennes, Everest et Epicest, que Coopérative U a quitté récemment.
Dans le même temps, ces mêmes distributeurs et leurs médiatiques porte-voix, Alexandre Bompard pour Carrefour, Thierry Cotillard pour Intermarché et Michel-Edouard Leclerc, ont multiplié ces derniers jours les marques de soutien au monde agricole, non sans être accusés d'opportunisme.