Le gourou d'un mouvement international de yoga a été mis en examen à Paris vendredi soir et écroué, dans une vaste affaire de violences sexuelles, alors que d'autres mises en examen sont en cours. Barbe et cheveux blancs, Gregorian Bivolaru, de nationalités roumaine et suédoise, âgé de 71 ans, est apparu les yeux cernés dans le box, lors d'une audience devant une juge des libertés et de la détention. Cette dernière a décidé de son placement en détention provisoire.
"Il y a vraiment matière à examiner à fond les conditions dans lesquelles vous développez votre doctrine et faites venir des fidèles de l'organisation que vous dirigez et dont vous êtes le haut personnage à l'aura extrêmement puissante", lui a expliqué la juge. "Je me désole de cette décision", a réagi auprès de l'AFP Me Anis Harabi, l'avocat du gourou. "Nous allons travailler sur le dossier et établir son innocence", a-t-il assuré.
Outre Gregorien Bivolaru, quatorze personnes ont été ou doivent être présentées à un juge d'instruction vendredi en vue de leur mise en examen dans ce dossier tentaculaire qui a nécessité l'intervention de 175 policiers pour réaliser une quarantaine d'interpellations mardi.
"Victime d'un complot politique"
Gregorian Bivolaru, très connu en Roumanie et qui a fondé en 1970 la première école de yoga dans le pays alors communiste, est la figure fondatrice du Mouvement pour l'intégration spirituelle vers l'absolu (Misa). Ce groupe ancien, rebaptisé Atman lors de son expansion hors de Roumanie, se présente comme axé sur la pratique du yoga tantrique. Il a été interpellé mardi à son domicile, alors qu'il s'y trouvait avec deux jeunes femmes roumaines et un autre homme. Lors de sa garde à vue, il a nié son rôle de chef, mais a bien affirmé être "doté de dons extraordinaires" et la "victime d'un complot politique", relate une source policière à l'AFP.
Il s'est présenté comme "un maître spirituel" : après une étape dite de la "consécration", des femmes "l'aimaient" à son domicile, selon la source policière qui rapportait ses propos. Il s'agit de "conditionnement des victimes à accepter des relations sexuelles via des techniques de manipulation mentale visant à supprimer toute notion de consentement", analysait mardi une source judiciaire. Le mouvement aurait aussi incité des femmes à "s'adonner à des pratiques pornographiques tarifées en France et à l'étranger", selon une source proche de l'enquête.
Dès 2008, le Misa avait été exclu "de la Fédération internationale de yoga et de l'Alliance européenne de yoga pour ses pratiques commerciales jugées illicites", rappelait aussi la source judiciaire. De son côté, le Misa a publié un communiqué jeudi en roumain pour dénoncer des "accusations absurdes" contre Gregorian Bivolaru, "cible depuis les années 1990 de campagnes médiatiques de discrédit".
56 femmes potentiellement victimes
Parmi les personnes mises en cause figurent aussi des femmes. L'une d'elles, "qui se comportait comme une cheffe" selon la source policière, a été interpellée au sein d'un "pavillon de femmes" à Villiers-sur-Marne, au sud de Paris. Lors de sa garde à vue, elle désignait six autres "coordinatrices" d'"ashrams" en région parisienne.
Six des vingt femmes installées dans ce pavillon ont raconté aux enquêteurs être arrivées entre septembre et novembre en France pour "un stage de yoga" ou "un cours sur le féminisme". Deux ont précisé avoir été prises nues en photo à leur arrivée. Elles n'ont pas porté plainte pour l'instant. Le propriétaire de deux pavillons a aussi été mis en examen vendredi pour traite d'être humains et séquestration en bande organisée, abus de faiblesse et complicité de viols. Son avocat n'a pas souhaité commenter.
À ce stade, les enquêteurs ont identifié 56 femmes potentiellement victimes. Une femme se présentant comme victime a raconté à l'AFP, sous couvert d'anonymat, avoir subi "à plusieurs reprises" un trafic sexuel "de la Grande-Bretagne à Paris". "Beaucoup de gens considèrent cette organisation comme une école de yoga (...) sans savoir qu'il s'agit d'une secte dangereuse", a-t-elle souligné, estimant le nombre de victimes à "des milliers de femmes".
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L'enquête est née d'un signalement en juillet 2022 de la Mission interministérielle de vigilance et de lutte contre les dérives sectaires, informée par la Ligue des droits de l'Homme de 12 témoignages d'anciens membres du Misa. Le parquet de Paris a ensuite ouvert une information judiciaire. Le mouvement a déjà fait l'objet de procédures judiciaires en Europe. Son fondateur, poursuivi dans son pays à plusieurs reprises, a fui et obtenu l'asile politique en Suède début 2006 ainsi qu'un nouveau nom : Magnus Aurolsson.
Condamné par défaut en Roumanie en 2013 à six ans d'emprisonnement, il avait disparu quelques années avant d'être arrêté en 2016 en France. Remis aux autorités roumaines, il s'était évaporé à nouveau, avant d'être retrouvé mardi dans l'Hexagone.