L'enseignante accusée d'avoir harcelé Evaëlle, une collégienne qui s'est suicidée à 11 ans dans le Val-d'Oise en 2019, sera jugée par le tribunal correctionnel de Pontoise pour avoir "dégradé les conditions de vie" de l'adolescente.
Il lui est reproché d'avoir "humilié régulièrement" Evaëlle devant sa classe, de l'avoir "isolée au fond" et d'avoir organisé "des heures de vie de classe portant sur le harcèlement scolaire au cours desquelles elle l'a stigmatisée comme étant victime de harcèlement par ses camarades et l'a contrainte à répondre aux questions de ceux-ci", écrit la juge dans son ordonnance consultée par l'AFP. L'ensemble de ces comportements ont eu "pour effet une dégradation très importante des conditions de vie de la jeune fille, qui s'isolait de plus en plus".
L'enseignante "réfute fermement"
"Au regard des faits extrêmement graves reprochés à la professeure quand on connaît la fin tragique d'Evaëlle [...], c'est la première fois que le harcèlement scolaire est considéré au sens large", a réagi auprès de l'AFP Me Delphine Meillet, avocate de la famille d'Evaëlle. "C'est-à-dire" au sens "où un juge d'instruction a jugé qu'un professeur doit être renvoyé pour des actes répréhensibles de harcèlement scolaire à l'égard d'un élève", a-t-elle précisé.
"Je souhaite souligner que la mise en cause initiale de ma cliente dans le décès tragique d'Evaëlle est totalement écartée", a déclaré de son côté Me Marie Roumiantseva, conseil de l'enseignante aujourd'hui âgée de 61 ans. En effet, dans l'ordonnance rendue par la juge, la qualification d'homicide involontaire fait l'objet d'un non-lieu. Aucun mis en cause, que ce soit l'enseignante ou les adolescents, n'est renvoyé pour ces faits.
"Quant au prétendu harcèlement moral imputé à ma cliente, cette dernière le réfute fermement et s'en expliquera devant la juridiction de jugement le cas échéant", a ajouté Me Roumiantseva.
Interdiction d'enseigner
Le 21 juin 2019, le père d'Evaëlle retrouve sa fille de 11 ans pendue à son lit dans leur pavillon à Herblay (Val-d'Oise). Six mois plus tôt, l'adolescente avait tenté de mettre le feu à une poutre de la maison après une rupture amicale.
Depuis l'entrée d'Evaëlle en sixième au collège Isabelle-Autissier d'Herblay, les problèmes se multiplient pour la jeune fille, déjà victime de brimades en primaire. Au-delà du comportement insultant et violent de camarades, elle fait face à des tensions avec son enseignante de français au sujet de la mise en place d'un protocole médical relatif à des problèmes de dos.
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Dans un premier temps, la situation avait été réglée en interne et Evaëlle, décrite comme précoce, joyeuse mais ayant des difficultés dans les relations sociales, n'appréhendait plus de se rendre en cours de français. Pourtant, quelques mois plus tard, l'enseignante avait demandé, durant une session consacrée au harcèlement scolaire, aux élèves d'exprimer leurs reproches à Evaëlle qui devait ensuite s'expliquer. Face à ses pleurs, l'enseignante s'était énervée et lui avait intimé de répondre aux questions, d'après les récits des élèves.
Des adolescents devant le juge
En février 2019, les parents d'Evaëlle avaient porté plainte contre des élèves et retiré leur fille du collège. Celle-ci était depuis suivie par un psychologue mais un nouveau comportement violent dans son nouveau collège avait provoqué son passage à l'acte. L'enseignante est également mise en cause pour avoir harcelé deux autres collégiens et a obtenu un non-lieu pour une quatrième élève.
Quant aux trois adolescents initialement poursuivis pour avoir harcelé Evaëlle, un a bénéficié d'un non-lieu et deux ont été renvoyés devant le tribunal pour enfants pour harcèlement sur mineure. Depuis 2021, l'enseignante ne peut plus donner cours à des mineurs et a une obligation de soins psychologiques. Par ailleurs, l'Education nationale a indemnisé la famille au titre du préjudice moral, selon le rectorat de Versailles, en échange de l'abandon d'éventuelles poursuites envers l'État.