Quels ingrédients faut-il réunir pour obtenir une success story à la française ? Michel Denisot s'est permis d'en demander la recette à Anne-Sophie Pic, seule cheffe française avec trois étoiles au prestigieux guide Michelin. Dans Icônes, la Drômoise issue d'une longue lignée de cuisiniers évoque d'abord une ambition initiale bien différente de celle qu'elle ensuite poursuivie : celle de devenir dessinatrice de mode. "Je rêvais de ça, c'est quelque chose qui occupait beaucoup mon esprit", confie-t-elle. "Je n'avais pas le coup de crayon qui m'aurait peut-être permis d'accéder à cet univers-là, mais j'étais déjà dans ma tête quelqu'un qui avait besoin de création, de rêverie."
La mère Brazier et James Guillepain, deux icônes
Le milieu familial, lui, a peu de choses à voir avec la mode. Son arrière-grand-père, Jacques Pic, possédait douze fermes en Ardèche. "Il y avait la ferme principale, où il vivait, l'Auberge du pin, au-dessus de Saint-Péray", près de Valence, se rappelle-t-elle. "Il avait décidé, avec mon arrière grand-mère, Sophie, de construire une école pour que les fils des paysans puissent avoir accès à l'instruction. Mon arrière-grand-mère s'est mise aux fourneaux parce que mon arrière-grand-père était un grand chasseur. Ça a été vraiment un peu de bouche-à-oreille au départ. Sa cuisine a fait le tour de la région et ensuite, elle a transmis cette passion à mon grand-père, André." Le groupe Pic naît alors en 1889.
Mais au-delà du cercle familial, deux figures vont jouer un rôle majeur dans le parcours d'Anne-Sophie Pic, née en 1969 : la mère Brazier, Eugénie de son prénom, et James Guillepain, dirigeant chez Moët & Chandon. "Mon grand-père, André Pic, appréciait énormément la cuisine de la mère Brazier. Il y avait une grande complicité entre entre lui et elle", figure incontournable de la gastronomie rhodanienne et première femme à décrocher trois étoiles au Michelin, comme le fera Anne-Sophie Pic en 2007.
" James Guillepain a déclenché en moi cette envie de revenir travailler auprès de mon père "
Il y a ensuite James Guillepain, avec qui la cheffe échange toujours. "Je crois pouvoir dire aujourd'hui que je suis revenue travailler auprès de mon père grâce à lui et il le sait. Il a été mon maître d'apprentissage chez Moët & Chandon. Je l'ai vu en tant que manager et c'était ma première vision d'un manager en dehors de mon père", dit-elle à propos du directeur commercial international de Moët & Chandon pendant les années 1980, dont elle loue "la bienveillance et l'altruisme". "À un moment donné, il a déclenché en moi cette envie de revenir travailler auprès de mon père."
"Pas programmée", et pourtant…
Au début des années 1990, le diplôme d'une école de commerce parisienne en poche, Anne-Sophie Pic s'éloigne pourtant sa vocation initiale pour se rapprocher du milieu de la gastronomie. Une décision illogique ? "Disons que je n'étais peut-être pas programmée par le fait que j'ai fait des études", relate-t-elle. "J'étais la petite dernière, donc mon frère (Alain, ndlr) était plus celui qui était programmé. Ce n'était peut-être pas une grande évidence, mais en même temps, j'ai vécu au dessus d'une cuisine toute mon enfance."
" Ce métier, j'avais l'impression de le connaître, que je ne pouvais rien apprendre d'autre sur cette vie-là "
Après la mort de son père, Alain Pic hérite du groupe familial mais perd la troisième étoile en 1995. Anne-Sophie Pic reprend la tête des cuisines en 1997, à 28 ans, avant de récupérer la troisième étoile neuf ans plus tard. "Finalement, on veut quelquefois franchir des frontières mais, quelque part, on a auprès de soi des choses qu'on ne voit pas forcément", observe la cheffe aujourd'hui. "En y ayant vécu toute mon enfance et mon adolescence, je pense que ce métier, j'avais l'impression de le connaître, que je ne pouvais rien apprendre d'autre sur cette vie-là. Bien au contraire, le futur m'a prouvé que j'avais tort."