Dire que le nouveau roman de Jean-Christophe Rufin est inspiré de sa vie revient à débiter l'évidence. D'un côté, sur papier, l'ouvrage s'intitule Les sept mariages d'Edgar et Ludmila, quand de l'autre, dans la vraie vie, son auteur s'est marié à quatre reprises, une fois avec une femme d'origine russe, puis trois fois avec la même épouse d'origine éthiopienne. "Vous savez tout et vous ne savez rien quand on a dit ça. Quand on en reste aux chiffres, évidemment, c’est pittoresque", glisse en préambule l'écrivain, qui était l'invité d'Isabelle Morizet dans Il n'y a pas qu'une vie dans la vie pour davantage s’épancher sur la question.
Séparations
Car s'il n'y a peut-être pas de la psychanalyse dans le roman de l'académicien, il y a au moins une réflexion sur son vécu. "J’ai eu envie, à travers une fiction, d’expliquer comment un couple peut vivre des moments, des ruptures, des retrouvailles, des choses qui apparaissent incohérentes et qui, pourtant, obéissent à une certaine logique." Dans l'ouvrage, un garçon sauve une femme battue en l’épousant. "C’est très beau mais ce n’est pas vivable. Moi, j’ai un peu connu ça. J’ai rencontré ma femme dans des conditions de guerre. Je connais ces paradoxes du 'sauveur', ça ne débouche pas sur grand-chose, il faut à un moment donné rebattre les cartes. Il faut se séparer. La séparation est un moment d’une histoire d’amour, ce n’est pas une rupture définitive", assure l'écrivain en s'appuyant sur sa propre expérience.
Son père, "une silhouette derrière une porte en verre dépoli"
Mais chez Jean-Christophe Rufin, le cercle familial est loin d'être un long fleuve tranquille, et ce dès l'enfance. Jusqu'à ses dix ans, il est élevé par ses grands-parents maternels. Le temps que sa mère se fasse une véritable situation. Il ne connaît son père qu'à ses 18 ans. Un contexte qu'il décrit aujourd'hui comme "très propice à l'imaginaire". Quand il rencontre son père, il voit d’abord "une silhouette derrière une porte en verre dépoli". Un moment suspendu sépare deux parties de sa vie. "Cette porte sépare deux époques. J’en étais conscient." Mais la rencontre n'est pas à la hauteur de ce qu’il attendait. "C’est là que l’on mesure que l’imaginaire est puissant." Jean-Christophe Rufin avait eu tout le temps de se créer l'image d'un père. "Le vrai n’avait plus de place, je ne l’ai pas reconnu. Nous sommes restés quelque part des étrangers", explique l'auteur.
Avant de faire carrière dans les lettres, Jean-Christophe Rufin est tombé dans la potion magique de l'action. Il est devenu médecin comme son grand-père et s'est engagé dans l'humanitaire, notamment avec Médecins sans frontières puis avec Action contre la faim. Il est aussi devenu ambassadeur de France en Afrique avant d'embrasser son métier d'auteur. Une profession qui l'a ramené cette fois à sa mère qui lui avait appris à lire. "Tout ce que j’ai fait dans ma vie était fait en référence à des personnes qui n’étaient plus là pour le voir. On peut avoir des longs dialogues avec des personnes qui sont avec vous sans être là", assure l'écrivain.
Fier de sa relation avec ses trois enfants
Entré à l'Académie française en 2008, il y voit une "reconnaissance précieuse" pour quelqu'un qui est venu à la littérature "par la petite porte", mais qui a néanmoins décroché le prix Goncourt 2001 pour Rouge Brésil. Un autre pan de sa vie le réjouit : la famille qu'il a su créer. "Ma vie affective n’a pas été un très grand succès, elle a été assez chaotique, mais je pense avoir construit une relation assez belle, assez forte avec mes enfants. Tous les trois, je les vois ou les ai au téléphone pratiquement tous les jours. On est très proches, je suis très fier de ça", dit celui qui se réfugie une partie de l'année à la montagne pour pratiquer l’alpinisme et écrire ses romans en toute sérénité, et à la main.