Lucas Bravo est enfin un homme fier. Après plusieurs années à jouer le rôle de Gabriel dans la série Netflix Emily in Paris, le comédien de 36 ans s'émancipe dans Libre, de Mélanie Laurent. Révélé dans le show de Darren Starr, mais aussi enfermé dans ce registre stéréotypé, l'acteur trouve maintenant un nouveau souffle. Dans la peau de Bruno Sulak, figure du banditisme des années 80, Lucas Bravo déploie sa palette d'interprète. Comment s'est-il préparé pour incarner ce braqueur méconnu du grand public, Arsène Lupin des temps modernes, roi de l'évasion qui n'a jamais cédé à la violence ? Interview.
Qu'est-ce que ça vous fait d'être la tête fiche d'un film réalisé par Mélanie Laurent ?
C'est une immense fierté pour moi. J'ai toujours été extrêmement touché par le cinéma de Mélanie. C'est une chance pour un acteur de passer sous son regard, qui plus est pour un rôle aussi riche et galvanisant. J'ai encore un peu de mal à le réaliser (Rires).
Avez-vous passé un casting pour obtenir le rôle de Bruno Sulak ?
Non. J'avais rencontré Mélanie quelques années auparavant dans le cadre d'une soirée pour les océans à Monaco chez le prince Albert. Je m'en souviens très bien car il y avait aussi Gaspard Ulliel. Nous avons parlé de cinéma et de nos projets. Nous avions envie de travailler ensemble. Et puis est venue l'écriture de ce film sur Bruno Sulak, le scénario était sublime. Mélanie m'a dit : "Je pense que tu es la bonne personne pour incarner Bruno". Normalement, mon syndrome de l'imposteur aurait dû prendre le dessus. Mais là, c'était une opportunité qu'il fallait absolument saisir. J'ai commencé ma carrière d'acteur pour ce genre de projets et l'histoire de Bruno résonnait en moi. Avec ce rôle, ça y est, je fais officiellement ce que j'aime.
Vous êtes connu pour jouer le rôle de Gabriel dans la série Netflix Emily in Paris. Dans Libre, on vous découvre dans un rôle plus sombre et plus ambivalent. Ce changement de registre a-t-il été compliqué à adopter ?
Vous voulez dire que je suis sous-exploité dans Emily in Paris ? (Rires). À vrai dire, j'ai le sentiment d'avoir pris cinq ans d'expérience sur ce projet grâce à Mélanie. Sa direction est très riche et ne repose pas juste sur une intention mais aussi sur la physicalité. J'avais perdu cet aspect du geste de vie avec Netflix car Emily in Paris est basée sur l'esthétisme. On est très "waxés" (ndlr : figés comme de la cire), on ne peut pas changer un mot, une intonation, un geste. Tout est très chorégraphié. Mélanie m'a autorisé à être spontané, à me ronger les ongles, me gratter l'oreille... Des choses que je ne faisais plus car j'étais très figé. Ça m'a complètement libéré et je vais garder ça pour mes prochains rôles.
Comment s'est passé le tournage ?
J'ai eu un peu de mal pendant la première semaine car je venais de jouer un sociopathe dans Les femmes au balcon de Noémie Merlant et je n'arrivais pas à me dépolluer de ce personnage. J'ai commencé à paniquer. Je craignais de passer à côté du film, de ne pas faire honneur à Bruno, de décevoir Mélanie et tous les gens impliqués. Je me suis torturé l'esprit et puis Mélanie m'a ramené à l'amour, au tournage et à la simplicité des choses. Elle est extrêmement bienveillante.
Pourquoi Bruno Sulak vous touche-t-il particulièrement ?
Je partage avec lui le même amour des mots. Bruno écrivait très bien et moi aussi, j’adore écrire. En français, on a quinze mots pour décrire une seule chose, c'est formidable ! Comme Bruno, j'ai aussi développé un instinct de caméléon. J'ai beaucoup voyagé quand j’étais jeune car mon père, footballeur, était souvent transféré. J’avais donc souvent ce statut de "nouveau" dans chaque ville que je découvrais, et je pense que, par instinct de survie, j’avais à cœur de m’intégrer rapidement dans une dynamique de groupe pour perdre ce statut.
Avez-vous pris du plaisir à jouer les scènes de braquage ?
Oui mais c'est plus nuancé que ça. On a commencé le tournage par une scène avec un plan-séquence de cinq minutes où l’on braque une bijouterie place Vendôme, et on s’enfuit dans la rue. La caméra se détache ensuite pour entrer dans la voiture, et là, ça part en course-poursuite. C’était un pari risqué, mais ça a vraiment lancé le tournage et c’était sensationnel de le faire en plein Paris. Mais ce n’était pas toujours très fun. La première fois que j’ai dû faire un braquage dans un supermarché, c’était assez étrange. On pourrait penser que c’est moins impressionnant qu’une bijouterie, mais c'était perturbant pour moi d'interrompre la tranquillité de simples civils en train de faire leurs courses même si c'étaient des figurants (Rires).
La relation passionnelle entre Bruno Sulak et sa petite amie Annie est au centre du film. Comment avez-vous joué ces scènes d'intimité ?
On a compris avec Léa Luce (ndlr : l'actrice qui joue Annie) que cette relation était presque une relation d’adolescents, très passionnelle, imprégnée de dopamine et d’urgence. C'était une connexion purement instinctive. Il ne fallait pas qu'on commence à trop l’analyser et à chercher des explications car on risquait d'en perdre l’essence. On a choisi de rester très instinctifs et de se faire confiance. Aussi, Mélanie a vraiment cette capacité à filmer avec un regard bienveillant, sans sexualiser les corps. Tout s’est fait de manière très saine quand on devait jouer des scènes de sexe. Il y avait seulement Mélanie dans la pièce et quelqu'un pour la prise de son.
Après Libre, désirez-vous explorer des rôles plus complexes comme celui de Bruno Sulak ?
J’ai toujours eu envie d’explorer ce genre de rôles, même si j’en suis reconnaissant. Mon rôle dans Emily in Paris n'est pas celui qui me stimule le plus. C'est bien qu'il y ait ce genre de programmes mais moi, j'aime me transcender, me dépasser, me challenger et aller vers ce qui me fait peur. Je suis persuadé que la peur est une sorte de guide qui nous indique là où aller pour désacraliser les choses. J'aime donc me lancer dans des rôles que je me sens incapable de jouer, et cette année, je me suis bien challengé à ce niveau-là !
Le mot de la réalisatrice, Mélanie Laurent : "Lucas avait une image un peu sucrée et j’avais envie de noirceur. C'était intéressant de donner à ce mec-là le rôle principal, de le voir dans chaque plan. C'est très émouvant pour moi de filmer des acteurs qui n'ont jamais eu de premiers rôles. Ils ont un peu de trac et tellement d'envie. Filmer des comédiens qui tournent trois ou quatre films par an, ce n’est pas la même chose, ils n'ont plus cette excitation. Et moi, je ressens encore cette ferveur, comme si c'était mon premier film à chaque fois. J’ai besoin de travailler avec des gens qui sont aussi passionnés, parce que, quand on commence à être blasé, c’est là que tout s’éteint".