La plupart ont du mal à en sortir. Lui a eu des difficultés pour y entrer. "Ça m'a pris trois ans pour réussir à entrer en prison", affirme Ted Conover, invité de La voix est livre, samedi. Rassurez-vous, le journaliste et écrivain américain n'a tué personne pour y parvenir. Il s'est fait embaucher comme gardien de prison, à Sing Sing, une prison près de New York, pendant un an.
Cette incroyable immersion, Ted Conover la raconte dans NewJack - Dans la peau d'un gardien de prison, un livre qui vient de sortir aux éditions du Sous-sol. Dans la mouvance de la narrative non fiction, également appelée journalisme littéraire, l'écrivain livre une véritable enquête, en utilisant les codes du roman. Un genre popularisé par des auteurs comme Truman Capote ou Tom Wolfe.
Un univers militaire. Pour Ted Conover, tout a commencé par une mission pour le magazine américain, The New Yorker. "Je devais écrire un article sur une famille de gardiens de prison, rappelle le journaliste. Mais l'Etat a refusé que je visite la prison. Donc j'ai décidé de postuler pour faire le travail."
Il se retrouve alors en formation pendant sept semaines pour apprendre les rudiments du métier. Il découvre un univers qui a tout du camp militaire, avec des sergents instructeurs qui lui crient dessus en permanence. "Ils font ça pour vous montrer le stress que vous allez devoir subir en prison mais en fait ça n'y ressemble pas du tout."
Pendant l'un des exercices, les gardiens de prison en herbe doivent enlever leurs masques à gaz pour comprendre ce que ça fait de recevoir du gaz dans les yeux. Ted Conover panique. L'un des instructeurs lui prend alors le bras. Un geste perturbant : "J'ai eu l'impression qu'il essayait de m'aider, se souvient Ted Conover. C'était quelque chose d'inhabituel. Il y a très peu de gentillesse dans ce monde."
"On ne peut pas être dans l'empathie." Plus tard, en prison, le journaliste doit lutter contre son empathie naturelle. Il a tendance à écouter les détenus quand ils se plaignent, à essayer de les comprendre. Mais il se rend rapidement compte que ce n'est pas la bonne attitude. "Il faut se servir d'une autre partie de soi pour réagir, analyse-t-il. On ne peut pas être dans l'empathie sinon les gens en profitent. Ma femme m'a vu changer quand je rentrais le soir. Elle me disait que ce travail faisait ressortir un côté disciplinaire de ma personnalité. Ce n'est vraiment pas la personne que je suis mais c'est ce que je suis devenu."
Pendant cette année, Ted Conover est contraint de mentir à ses collègues. "Ce qui est difficile, c'est de ne pas pouvoir être complètement ouvert ou sincère, assure t-il. Mais je n'ai jamais inventé de mensonge. J'étais gardien, je n'ai pas fait semblant d'être gardien. J'ai utilisé mon vrai nom et quand je parlais de ce que je ressentais, je disais la vérité."
Ses ex-collègues se sont-ils sentis trahis quand ils ont découvert la sortie du livre ? C'est l'inverse qui s'est produit. Lors d'une séance de dédicaces organisée près de Sing Sing, la police est envoyée sur place pour protéger l'écrivain, en prévision d'éventuelles violences de la part de gardiens. Mais ceux qui sont sur place sont en fait venus pour... le remercier ! "C'est quelque chose d'assez poignant pour moi, confie Ted Conover. J'ai l'impression qu'ils me remercient d'avoir dressé un portrait d'eux en tant qu'être humain. Ce qui est finalement une attente très limitée ! Mais personne ne parle d'eux comme ça..."
NewJack – Dans la peau d’un gardien de prison, éditions du sous-sol, 23 €