Combien a vraiment touché Bernard Tapie en 2008, dans le litige qui l'opposait au Crédit Lyonnais ? Alors qu'une seconde journée d'audition de Christine Lagarde sur cette affaire débute vendredi, l'homme d'affaires a avancé un chiffre encore inédit. "Si on retire les frais de liquidation, les impôts et ce que je devais à mes créanciers, il m'est resté en tout et pour tout nettement moins que 100 millions d'euros", a-t-il affirmé au Parisien, qui lui évoquait le chiffre de 400 millions.
Et l'homme d'affaires de poursuivre : "arrêtez de parler de 400 millions. C'est un chiffre qui ne correspond en rien à la réalité. On mélange l'indemnité d'arbitrage qui s'élève à 285 millions, intérêt compris, avec le produit de vente de l'ensemble de mes sociétés que le Crédit lyonnais avait encaissé et conservé et qui ne m'avait pas été payé."
>>> Ce chiffre de 100 millions est-il crédible? Éléments de réponse.
Petit rappel des faits. En 1994, Bernard Tapie assigne le Crédit Lyonnais en justice. Il accuse la banque de lui avoir remis, un an plus tôt, un produit de vente inférieur à ce qu'elle avait effectivement perçu en vendant Adidas (Bernard Tapie était propriétaire de la marque de sport et avait mandaté la banque pour la vendre). Après 15 ans de bataille judiciaire, Bernard Tapie obtient gain de cause en 2008. Le tribunal arbitral - juridiction privée choisi par Christine Lagarde, alors ministre de l'Economie, pour régler le litige - condamne le consortium de réalisation (CDR), société chargée de la gestion du passif du Crédit Lyonnais, à verser 285 millions d'euros au groupe et aux époux Tapie.
Combien a réellement perçu Bernard Tapie ? Le 9 septembre 2010 Christine Lagarde, ministre de l'économie, confirme des informations parues dans le Canard enchaîné : l'Etat fera à Bernard Tapie un chèque net d'impôt de 210 millions d'euros. D'où sort ce chiffre ? En calculant les intérêts qu'a rapportés la vente d'Adidas depuis 1994, l'Etat a revalorisé de 285 millions à environ 400 millions ce qu'il devait à Bernard Tapie. En enlevant les frais de procédures, les dettes sociales et autres ponctions fiscales, il restait ensuite 210 millions d'euros à verser à l'homme d'affaires.
Contactée par Europe 1, une source proche du dossier affirme que sur la feuille d'impôts de Bernard Tapie, avant et après l'arbitrage, il y a une différence de 220 millions d'euros.
Comment se décomposent ces 210 millions? En réalité, Bernard Tapie et sa femme, en tant que foyer, n'ont touché "que" 45 millions d’euros (nets d'impôt) au titre du préjudice moral. En revanche, sa société GBT a touché 165 millions d'euros nets d'impôts. Mais, comme le précise Bernard Tapie, il faut encore décomposer cette somme. Il y a, d'une part, l'argent que GBT a touché au titre des dommages et intérêts. Et d'autre part, la remise des biens ou du produit de la vente des actifs saisis par le Crédit Lyonnais lors de la faillite des sociétés Tapie, aujourd'hui annulée. Or, aucun chiffre précis n'a filtré sur la répartition des 165 millions selon ces deux critères. Et seule la somme touchée pour les dommages et intérêts est susceptible d'être remise en cause aujourd'hui.
Autour de 100 millions, un chiffre crédible. En clair, Bernard Tapie a touché, en tout, 210 millions, mais on ignore la part liée à la vente de biens et qui ne sera pas remboursée quoi qu'il arrive. Si l'on ajoute à cela le fait qu'il restait à Bernard Tapie des dettes privées à rembourser (le JDD les estimait à 30 millions d'euros en 2008), le chiffre de 100 millions d'euros est tout à fait possible.
Un autre méthode de calcul, via sa feuille d'impôt, permet également d'arriver à une autre somme, légèrement différente. Cet argent, l'ex-patron de l'OM, le dépense ostensiblement, multipliant les achats gargantuesques : 40 millions d'euros pour se payer l'un des plus beaux yachts du monde -le bien nommé "Renaissance"-, 47 millions d'euros pour une villa de rêve à Saint-Tropez, 23 millions pour un jet privé et 25 millions pour acheter en partie le groupe de presse "La Provence". Au total, 135 millions d'euros ont été dépensés même s'il y a peut être des emprunts pour financer ces acquisitions. L'ensemble de la fortune de Bernard Tapie reste donc difficile à estimer. Une partie a été placée à l'étranger, comme sa société GBT en Belgique.
Si dans le futur, l'ancien ministre devait rendre l'argent, la justice pourrait alors aller saisir ses avoirs même hors des frontières grâce à une loi votée il y a trois ans, après l'arbitrage favorable à Bernard Tapie.