"Mamma Mia !", crie-t-on à Bruxelles. Si l'Union européenne a validé le budget 2014 de la France (avec des réserves), ce n'est pas le cas pour l'Italie et l'Espagne. Madrid se voit reprocher son déficit toujours trop élevé par rapport à ses engagements, peinant à se relever de la crise immobilo-bancaire qui a ravagé le pays en 2008. Rome, pour sa part, traîne un lourd fardeau de longue date : sa dette. L'Italie doit à ses créanciers plus de 2.000 milliards de dollars. Et Bruxelles prévoit que la dette italienne atteindra 134% du PIB en 2014, soit le deuxième taux le plus élevé de la zone euro après la Grèce. L'agence de notation Standard and Poor's a d'ailleurs abaissé cet été la note du pays de BBB à BB+, avec perspective négative.
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La croissance victime des tares italiennes... L'équation est simple : moins un pays a de croissance, moins l'Etat engrange de recettes. Or, cela fait longtemps que l'économie italienne reste clouée au sol. Le PIB n'arrive pas à dépasser 1% de croissance depuis 2000. L'Italie a même enregistré la plus faible croissance de l'UE sur la dernière décennie, avec un taux moyen de 0,2% entre 2001 et 2010, contre une moyenne annuelle de 1,1% pour les 27 pays de l'Union. Et cette morosité s'explique par des tares bien italiennes. Selon un rapport du think tank américain Carnegie Endowment, "l'Italie a perdu autant de compétitivité que la Grèce depuis son entrée dans la zone euro. Le coût du travail a augmenté de 32% entre 2000 et 2009". "L'Italie souffre d'un manque structurel de compétitivité, d'une lourdeur administrative et d'un manque de flexibilité du marché du travail", écrivait également en août 2011 l'Expansion.com. Clemente de Lucia, économiste pour le groupe bancaire BNP Paribas, interrogé par Le Monde, évoque également "une économie globalement peu innovante, peu dynamique, et qui pâtit à la fois d'un manque de compétitivité – services chers, monopoles – et de productivité".
Le tout a été accentué par la crise et la baisse de la demande intérieure entraînée par les divers plans de rigueur. Augmentation de l'âge de la retraite des femmes, gel du salaire des fonctionnaires, réduction du train de vie de l'Etat et des dépenses de santé, Rome a voté plus de 100 milliards d'économie depuis 2008. Le tout est, enfin, grévé par une économie souterraine (travail au noir, activités mafieuses ou locations immobilières au noir) défiant toute concurrence. Elle représentait, en effet, en 2011, l'équivalent d'environ 35% du produit intérieur brut (PIB), soit quelque 540 milliards d'euros, indiquait en mars 2012 l'institut Eurispes, soit la somme des PIB de la Finlande, du Portugal, de la Roumanie et de la Hongrie. Résultat de toutes ces tares : le pays enregistre en 2013 sa deuxième année de récession consécutive et subit un chômage de 12%.
L'Italie vivait au dessus de ses moyens. Peu portée par sa croissance, Rome a pourtant longtemps dépensé son argent public. "L'Italie paie encore aujourd’hui les erreurs des années 1970 et 1980, pendant lesquelles elle a vécu très largement au-dessus de ses moyens. De 1972 à 1994, le déficit public annuel a été supérieur à 9% du PIB sans discontinuer, faisant exploser la dette publique, passée d’environ 50% à 122% du PIB", explique ainsi dans une note l'économiste Jean-François Jamet. Et de poursuivre : "depuis la crise de 1992-1993, la politique économique italienne se résume donc essentiellement à un difficile effort de réduction de cette dette. La dure réalité est que cet effort n'est pas fini." Une grande partie des ressources du pays est en effet encore mobilisée dans le remboursement des intérêts de la dette. La charge de cette dernière représente plus de 4% du PIB, contre 2,8% en moyenne dans la zone euro.
Une instabilité politique bien locale. Cet été, Standard and Poor's expliquait également ses craintes par la situation politique du pays. Selon l'agence, les engagements budgétaires seraient "potentiellement menacés en raison d'approches divergentes dans le gouvernement de coalition". Et les "divergences" ne datent pas d'hier et ne sont pas nées avec le nouveau gouvernement d'Enrico Letta. "Les tensions entre Silvio Berlusconi et le ministre de l'Economie sont un facteur d'incertitude sérieux qui a immédiatement amené les marchés à voir l'Italie comme un pays à risque", expliquait déjà en 2011 Giuliano Noci, professeur d'économie à Milan, cité par l'Expansion.
De l'espoir pour l'avenir. Le gouvernement italien ne partage, toutefois, pas la vision pessimiste de Bruxelles et des agences de notation. Les "signes de reprise sont là", a réagi le Premier ministre Enrico Letta vendredi. "Notre dette est en effet élevée mais elle diminue, comme le prouvent les taux d'intérêt, et ceci m'encourage", a-t-il renchéri. Et il y a, effectivement, des signes d'encouragement. La croissance devrait repartir l'an prochain, à 0,7%, portée notamment par une réforme du marché du travail. Et le déficit italien est l'un des rares à avoir été ramené en dessous de la barre des 3% cette année. La nature de la dette elle même, enfin, est susceptible de rassurer les investisseurs. Contractée à plus de 50% auprès d'établissements ou de ménages italiens, la dette est peu exposée aux spéculateurs étrangers. Et les créanciers locaux ont toujours moins intérêt à plomber l'économie de leur propre pays.