La flexibilité, passage obligé pour relancer l'emploi ?

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CA SE DISCUTE - Le sommet européen pour l’emploi s’ouvre mercredi. Une nouvelle fois, la question d’une dérégulation du marché du travail va se poser.

Les statistiques se suivent et confirment que l’économie européenne peine à redémarrer. Au mois de septembre, le chômage des jeunes s'élevait ainsi à 23,3%. Pour enrayer cette hausse du chômage, les pays de l’Union européenne se retrouvent mercredi à Milan pour le troisième sommet européen pour l’emploi. Une réunion où devraient une nouvelle fois fleurir les appels à flexibiliser le marché du travail, comme ne cessent de le faire Angela Merkel, Mario Draghi, président de la BCE, ou encore Christine Lagarde, à la tête du FMI. Mais la relance de l’emploi passe-t-elle forcément par une dérégulation ?

>> Europe1.fr a posé la question à Eric Heyer, directeur adjoint au Département analyse et prévision de l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), et à Bernard Gazier, professeur émérite à l’université Paris I en sciences économiques.

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"Les réformes structurelles sont la dernière chose à faire". "Il y a un catéchisme qui consiste à dire ‘il faut faire des réformes structurelles’", martèle Eric Heyer. Avant d’ajouter : "on oublie de dire qu’en 2008, le chômage ne France était à 6,8% et cela avec notre code du travail. Le chômage a depuis pris 3 points, non pas parce qu’on a durci le code du travail, mais parce qu’il s’agit de la conjoncture. Ces 3 points, ce n’est pas à cause de la rigidité. A l’inverse, la flexibilité en Espagne était telle que le chômage est passé de 9% à 25%. Est-ce ce que l’on veut ?"

Eric Heyer estime donc qu’une dérégulation du marché du travail pas la priorité en France. "Une récente étude de l’OCDE montre que si le chômage a augmenté au cours de la crise, ce n’est pas le cas pour le chômage structurel (sauf pour la Grèce, l’Espagne et le Portugal). Donc cette augmentation du chômage est conjoncturelle et non structurelle, si bien que les réformes structurelles sont la dernière chose à faire. Ce n’est pas la bonne réponse, cela pourra l’être le jour où le chômage sera revenu à son niveau structurel (soit entre 7 et 8% ndlr). Le chômage, parce qu’il est conjoncturel, doit être combattu par la relance. Toute réforme structurelle ne peut que dégrader la situation", prévient l’économiste.

Et Eric Heyer d’ajouter que même les partisans d’une dérégulation du marché du travail ont intérêt à attendre. "La flexibilisation du marché du travail doit être lancée quand l’activité repart, il ne faut surtout pas le faire lorsqu’on est dans le bas du cycle comme aujourd’hui", prévient-il, "la flexibilité est dangereuse si on la fait au mauvais moment, elle amplifie la crise".

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N’est pas l’Allemagne qui veut. Le cas de notre voisin, qui fait aujourd’hui office de modèle avec moins de 5% de chômage, est instructif. Certes, le chômage y a été réduit au minimum grâce à une dérégulation mais cela s’est fait dans un contexte bien particulier : "ce pays était alors le seul à mener des réformes dans un contexte où la croissance mondiale était de 5,5% et qu’il a laissé filer ses déficits. Aujourd’hui, si on lançait ces réformes en France, le résultat ne serait pas du tout le même", rappelle Eric Heyer.

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Ce n’est donc pas le moment de suivre l’exemple allemand, d’autant que même dans ces conditions plus favorables, le prix à payer a été élevé. "En 1994, il y avait en Allemagne 58 milliards d’heure de travail disponibles et 38 millions d’emplois. En 2012, il y avait encore 58 milliards d’heure de travail disponibles et 41 millions d’emplois : ils ont donc créé 3 millions d’emplois qui sont des miettes d’emplois, majoritairement précaires", rappelle le professeur. "Cela veut dire qu’il y a eu un partage du travail qui a été, à mon sens, particulièrement régressif et sexiste : il a consisté à mettre au travail des femmes pour des emplois payés 8 euros de l’heure pour 8 heures par semaine. Ce partage est donc mauvais et injuste", regrette-t-il.

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Plus d’emplois au détriment de leur qualité ?  "C’est le fameux dilemme entre quantité et qualité de l’emploi, qui sous-entend que si on n’a pas assez d’emplois, il faudrait accepter des emplois de plus mauvaise qualité pour en avoir davantage", résume Bernard Gazier. "Or c’est un cercle vicieux : lorsque vous développez des emplois non qualifiés, vous avez tout ce qu’il faut pour continuer à décrocher. Certains l’ont compris : l’Allemagne vient d’instaurer un salaire minimum et le Portugal de l’augmenter, en se disant qu’on ne sera jamais moins chers que les Chinois", ajoute-t-il.

La France ayant déjà un salaire minimum et n’étant pas partie pour augmenter les salaires, quelles sont les alternatives possibles à une dérégulation du travail ? Pour l’instant, la France a fait le choix de réduire les charges sociales, un choix que conteste Bernard Gazier. "Ces exonérations de charges sociales sont une spécificité françaises et on en voit les limites. On paye 20 milliards d’euros pour préserver 800.000 emplois de faible qualification. Quel est le signal qu’on envoie aux entreprises lorsqu’on subventionne les faibles qualifications ? ‘Ces gens sont mauvais puisqu’on vous paie pour les garder et ne les faites pas évoluer, sinon vous perdez vous subventions’", décrypte-t-il avant de conclure : "il faut se désintoxiquer. Basculer vers des pratiques de formation et de requalification serait intéressant".

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Le modèle danois de la rotation pour formation. Cette priorité accordée à la formation est déjà la règle au Danemark, où "la rotation des emplois consiste à mettre des gens en congé pour formation et à les remplacer par des chômeurs préalablement formés", résume Bernard Gazier. Ou comment régler à la fois la question du chômage et celle de la qualification des travailleurs.

"Le Danemark en a fait l’expérience dans les années 1995, époque où il avait le même taux de chômage qu’en France (10%) et il est depuis passé à 5%. Lorsque la croissance est revenue, ils ont tout simplement rendu le dispositif moins attractif et personne n’a eu à vivre une régression sociale", détaille-t-il. Et l’économiste d’ajouter : "le partage du travail est alors dynamique parce que les personnes reviennent avec des compétences nouvelles et deviennent plus efficaces. Ce qui, au passage, permettrait d’anticiper le creux démographique provoqué par le départ à la retraite des générations du baby boom".

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Le modèle autrichien de "requalification". Bernard Gazier conseille également d’aller regarder du côté de l’Autriche, "qui est un peu la star de l’emploi avec un taux de chômage inférieur à 5%. Un pays qui fait aussi bien que l’Allemagne sans avoir fait les réformes Hartz". Son secret ? La "requalification". "Chaque année, 10% des chômeurs passent pas un dispositif de requalification massive qui s’appelle la fondation du travail. Ces fondations sont extrêmement répandues aujourd’hui alors qu’elles ont été créées pour aider les entreprises en restructuration. On y suit une forme d’apprentissage pour ceux qui sont sortis du système ou qui y étaient déjà passés mais ont besoin d’être recyclés. C’est une sorte de deuxième chance et ces formations peuvent durer jusqu’ à trois ans".

"En France, on aimerait bien suivre ce modèle", ajoute Eric Heyer, "mais il coûte cher et les prélèvements sociaux sont très élevés dans ce pays". Or, l’Hexagone prend le chemin inverse puisqu’il a érigé en priorité la réduction des prélèvements sociaux.