Comment rendre l’emploi plus attractif que le chômage ? Comment limiter la prolifération des contrats précaires ? Comment mieux accompagner les demandeurs d’emploi ? Pour répondre à tous ces enjeux, Edouard Philippe doit dévoiler mardi une vaste réforme de l’Assurance chômage, dont le but affiché est de "favoriser le retour à un emploi durable", comme l’a annoncé le Premier ministre, mercredi dernier, lors de son discours de politique générale. Alors que les partenaires sociaux ne sont pas parvenus à se mettre d’accord après plusieurs mois de négociations, l’exécutif avait repris la main l’été dernier sur ce dossier épineux. Si l’on ignore encore de nombreux détails, plusieurs mesures ont déjà été évoquées. Et aucune ne semble vraiment faire l’unanimité.
Ce que l’on sait de la réforme
L’exécutif fait le pari que sa réforme générera des "effets de comportement" qui permettront d'accélérer la baisse du chômage et de réduire l'endettement de l'Unedic (35 milliards) avec des économies de 1 à 1,3 milliard d'euros par an.
Côté entreprises, cela passera notamment par l'application d'un "bonus-malus" pour lutter contre les contrats courts. Le principe du bonus-malus est de faire varier le taux de cotisation d'assurance chômage d'une entreprise en fonction de son taux de rupture de contrats donnant lieu à inscription à Pôle emploi. L'objectif est de pénaliser les entreprises qui abusent des CDD courts et font financer les creux de leur activité par l'assurance chômage.
Cette promesse de campagne d'Emmanuel Macron avait cristallisé toute la négociation entre syndicats et patronat et a fait débat au sein même de l'exécutif, Matignon y étant réticent. Finalement, ce bonus-malus sera limité aux "5 à 10" secteurs d'activité les plus consommateurs de contrats courts, comme l’a annoncé Edouard Philippe mercredi. Ce dernier a également annoncé une mesure "transversale", sous la forme d'une taxe forfaitaire sur "les CDD d'usage", des CDD sans limitation de durée, de renouvellement, ni de prime de précarité.
Côté demandeurs d'emploi, le gouvernement va instaurer la dégressivité sur les allocations les plus hautes. Selon plusieurs médias, elle pourrait s’appliquer à tous les demandeurs d’emplois touchant plus de 4.000 euros d'indemnités par mois, soit environ 30.000 personnes en France. Cette mesure ne sera, en revanche, pas appliquée aux seniors, a déjà fait savoir l’exécutif.
" J'espère que si on voit que ça ne fonctionne pas, le gouvernement reviendra en arrière "
L’exécutif pourrait aussi durcir les conditions d'accès à l'assurance chômage, en passant de 4 mois travaillés sur les 28 derniers à 6 mois sur 24.
Autres modifications d’importance en vue : celles des règles du cumul emploi-chômage et du calcul de l'indemnisation. Celles-ci sont actuellement plus favorables, pour la même quantité de travail, aux personnes alternant contrats courts et inactivité qu'à celles travaillant en continu à temps partiel. L’exécutif entend inverser la tendance, comme l’a exprimé à plusieurs reprises la ministre du Travail Muriel Pénicaud.
Selon différents médias, ces mesures ne s'appliqueront qu'aux nouveaux entrants, à partir de début 2020. Elles doivent s’accompagner, enfin, de mesures de renforcement de l'accompagnement des chômeurs. Alors que Pôle emploi a perdu 800 postes dans le budget 2019, Edouard Philippe a promis mercredi "de nouveaux moyens" pour ces nouvelles mesures d'accompagnement.
Pourquoi elle déplaît au patronat
La plupart de ces mesures sont plutôt considérées d’un bon œil par le patronat, notamment le Medef, selon qui les économies budgétaires attendues éloignent le spectre d’une augmentation des taxes. Mais il y en une qui passe particulièrement mal : l’instauration du bonus-malus pour les contrats courts. "C'est une promesse du président de la République, je la regrette. Je pense surtout que ce ne sera pas efficace", a fait savoir Geoffroy Roux de Bézieux, le président du Medef, mercredi dernier sur Europe 1. "La bonne nouvelle c'est que ce sera limité à quelques secteurs", poursuivait le "patron des patrons". Qui y voyait là un signe : "Je pense qu'inconsciemment le gouvernement n'est pas convaincu de l'efficacité du système. J'espère que si on voit que ça ne fonctionne pas au bout de 18 mois ou de deux ans, le gouvernement reviendra en arrière".
" Si on tape dur sur les personnes qui ont une indemnisation très basse, la CFDT essaiera d'être mobilisée "
Pour le patronat, la question est particulièrement épineuse. "Dans les rangs du patronat, certains s’étonnent d’ailleurs de ne pas avoir vu Geoffroy Roux de Bézieux monter plus fortement au front ces derniers jours", indique même Le Parisien. Les secteurs ayant le plus recours aux contrats courts (CDD de moins d'un mois) sont notamment l'hôtellerie-restauration, l'hébergement médico-social, la santé et l'action sociale, les enquêtes d'opinion, l'audiovisuel ou encore les arts et spectacles. Autant de secteurs qui ont besoin de flexibilité, selon le Medef. Qui reconnaît tout de même, par la voix de son président, qu’il y a "des abus".
Pourquoi elle déplaît aux syndicats de salariés
Les syndicats de salariés, pour leur part, regardent avec méfiance… à peu près tout le reste de la réforme, l’accusant de faire porter la plupart des efforts sur les salariés.
La CFDT, par exemple, s’inquiète tout particulièrement de la révision à venir des règles sur le cumul emploi-chômage. Comme on l’a vu plus haut, le gouvernement veut limiter les alternances inactivité/contrats courts. On ignore pour l’instant comment, mais les syndicats redoutent une baisse des indemnités pour les personnes concernées, afin de les inciter à opter pour le travail à temps partiel continue. "Si on tape dur sur les personnes qui ont une indemnisation très basse, moins de 1.000 euros, la CFDT essaiera d'être mobilisée", a d’ores-et-déjà prévenu vendredi le secrétaire général de la CFDT, Laurent Berger.
La CGT et la CFE-CGC, pour leurs parts, sont notamment montés au créneau pour dénoncer la dégressivité des indemnités pour les cadres. La CFE-CGC a qualifiée la mesure de "populiste et d'inefficace". Quant à la CGT, elle craint que cette mesure ouvre la porte à une future dégressivité étendue à tous les salariés.
Quoi qu’il en soit, le gouvernement joue gros, mardi. Et lundi, tout n’était pas encore tranché. "Les téléphones ont sonné en haut lieu, ces derniers jours, et vont continuer ce lundi pour tenter de faire bouger les lignes avant le jour J. ‘Il y aura encore quelques ajustements de dernière heure, peut-être même lundi soir’, indique une source gouvernementale", écrivait Le Parisien lundi matin. Reste à savoir si ces "ajustements" suffiront à rendre cette réforme un peu plus consensuelle.