Imaginez. Vous avez envie de changer votre vieux téléphone. Vous allez donc sur Facebook Messenger et vous envoyez un message à "Bob", le chatbot de votre opérateur. Immédiatement, il vous reconnaît et vous appelle par votre prénom. Vous discutez de vos envies, des marques qui vous intéressent, de votre budget… Au bout de quelques minutes, "Bob" vous propose LE téléphone. Immédiatement, vous rentrez vos coordonnées bancaires et vous payez, sans même quitter Messenger. "Bob" vous remercie et conclut par une petite blague. Quelques jours plus tard, vous recevez votre téléphone flambant neuf.
Des logiciels intelligents. Cet exemple fictif peut paraître futuriste et pourtant, il n’est pas si éloigné des possibilités déjà offertes actuellement par les chatbots, ou agents conversationnels. Ce sont ces petits logiciels capables de tenir une conversation en temps réel avec un internaute et de s’adapter à ses réponses. Ces robots conçus pour dialoguer sont de plus en plus prisés par les marques, soit pour inciter à l’achat, soit pour répondre aux questions des clients après une vente. On en compte 33.000 en service dans le monde actuellement. En France, Meetic, Voyages SNCF, 20 Minutes, Digitick, Sephora, Orange et d’autres entreprises ont déployé des chatbots au cours des dix derniers mois.
Défiance des consommateurs. Les chatbots peuvent être vus comme une réponse des entreprises commerciales au changement de paradigme de la relation qu’elles nouent avec les consommateurs. Avec Internet et les smartphones, les gens ont accès à une myriade d’informations et ne sont plus tenus de croire les dires des marques. Selon une étude du cabinet GreenFlex, seuls 26% des Français font encore confiance aux grandes entreprises, contre 48% en 2006. Un sentiment conforté par une étude Ipsos : 85% des Français font confiance à l’avis de leurs proches quand ils doivent acheter un produit, contre 63% pour le conseil des vendeurs et 52% pour le site officiel de la marque.
Un nouveau canal commercial
Comme l’expliquait Vincent Mayet, directeur général de l’agence de communication Havas Paris, lors d’une conférence sur le sujet en janvier, "les chatbots aident les marques dans l’accompagnement et l’aide au client", tandis que "l’interface minimaliste permet une interaction directe entre les consommateurs et l’enseigne". Ces robots de conversation visent à rafraîchir et à moderniser l’image des entreprises. "D’ici à cinq ans, 80% des applications basculeront sur les messageries instantanées", où se trouveront leurs chatbots, prévoit Vincent Mayet.
Technologie naissante. C’est ce qu’avait en tête Digitick, pionnier français du e-billet, quand il a lancé en décembre dernier "Nina", son chatbot commercial. Disponible sur Messenger, Nina permet de trouver des spectacles en fonction de sa localisation, de son humeur et de ses envies. "Après le billet dématérialisé, le site mobile et l’application, il s’agissait pour nous de rester en pointe dans notre secteur", explique Xavier Dupont, directeur de Digitick.com. "Nous considérons désormais que les réseaux sociaux représentent un canal commercial non négligeable et qu’il fallait avoir notre propre chatbot."
Des internautes indécis. Conçu à l’origine comme une "aide à la recherche, parfois fastidieuse, des cadeaux de Noël", Nina est un chatbot pérenne, voué à rester actif à côté des autres canaux de vente traditionnels de Digitick. Selon Xavier Dupont, l’objectif initial était de séduire un public jeune, qui veut réserver un spectacle rapidement et facilement. Deux mois après le lancement, le bilan est intéressant. Alors que sur le site, les internautes savent ce qu’ils cherchent, sur le chatbot, 58% d’entre eux demandent à ce que Nina leur fasse des propositions.
Taux de conversion limité. Au niveau des profils, 80% des utilisateurs ont entre 18-34 ans – "la même tranche d’âge que sur le site" – et 80% d’entre eux sont des hommes, eux qui représentent un peu moins de la moitié des visiteurs sur le site. Quant au temps d’interaction, il est très court : tout juste 54 secondes par conversation en moyenne. Reste la question du taux de conversion, c’est-à-dire le nombre de gens qui vont jusqu’à l’achat. Digitick avance le chiffre de 10% d’utilisateurs qui vont au bout tandis que MFG Labs, concepteur du chatbot, parlait plutôt de 3% lors de la conférence avec Havas Paris. Quelle que soit la réalité, Xavier Dupont précise que les utilisateurs de Nina ont quatre fois plus de chances de convertir leurs recherches en achat que les internautes du site.
Redéfinition de la relation-client
Les chatbots ne servent pas uniquement un but commercial. Les robots conversationnels peuvent également être des aides au service client. Là encore, les marques partent d’un constat simple : une étude Ifop, datée de septembre 2016, montre que neuf Français sur dix ont déjà eu une expérience insatisfaisante avec un service client. Là encore, le chatbot est conçu comme un moyen de faciliter la vie du client en proposant un service après-vente (SAV) simplifié et direct. Plus besoin de passer forcément par un centre téléphonique, étape qui rime souvent avec attente sur fond de musique classique…
Mi-chatbot, mi-moteur de recherche. Orange a ainsi mis en place deux chatbots l’an dernier. Un à vocation commerciale pour son opération "Big Noël" (site dédié, Messenger, Twitter) et l’autre sur le site de Sosh pour le SAV, avec une interface de moteur de recherche, moins fluide que les bots de Messenger. Ce dernier a permis à Orange de se faire la main sur cette nouvelle technologie à la disposition des entreprises. "Le chatbot est allumé en permanence et vous pouvez lui poser des questions à distance. Avec l’assistant Sosh, on s’est rendu compte que les gens sollicitaient l’aide de 5 heures du matin à 1 heure du matin. Auparavant, c’était plutôt entre 7 heures et 21 heures", résume François Rondeau, directeur de la relation client 2.0 chez Orange.
Maîtrise du consommateur. "Aujourd’hui, les clients veulent tout faire tout seul. Ils ne veulent plus subir la relation-client. Si on doit contacter le SAV, on veut pouvoir conserver notre autonomie", constate François Rondeau. Être aidé tout en maîtrisant l’aide : un paradoxe résolu grâce au chatbot. Chacun peut en effet entamer une discussion avec le robot au moment où il le souhaite et y mettre fin à sa guise.
L’humain aura toujours sa place. Toutefois, "le chatbot n’est pas une réponse universelle à toutes les questions de nos clients. C’est plutôt un outil efficace sur des problématiques ciblées", relativise le directeur de la relation client 2.0 d’Orange. Certaines demandes nécessiteront toujours d’être traitées par un être humain plutôt que par un robot. "Si vous vous faites voler votre smartphone, vous n’aurez pas envie de parler à un bot. Dans ce cas-là, il faut une réponse humaine, quelqu’un qui va vous rassurer. En revanche, pour les questions quotidiennes, le bot permet de conserver son autonomie".
Efficacité de 95%. Chez Orange, l’expérience Sosh est jugée positivement. Sur les trois millions de clients Sosh, entre 500 et 600.000 utilisent cet assistant chaque mois avec un taux de bonne réponse de 95%. Résultat, l’opérateur envisage de passer à la vitesse supérieure cette année. Dans quelques mois, un test grandeur nature sera effectué en remplaçant l’interface actuelle sous forme de moteur de recherche par un véritable chatbot, tel qu’il est conçu par le grand public (la forme Facebook Messenger).
Du chatbot à l’assistant personnel
En janvier, Laurent Couraudon, directeur du développement de MFG Labs, résumait ainsi les perspectives d’avenir des chatbots : "En 2016, tout le monde s’est lancé dans les chatbots mais rien de fou n’est sorti de ces expériences. On cherche le bon ton, les outils ont besoin d’être améliorés. En 2017, le phénomène va se concentrer autour de bots plus performants, moins éparpillés." S’ils ne remplaceront jamais les sites de e-commerce traditionnels, à terme, les chatbots devraient se substituer aux SAV, formulaires de contact et autres Foires aux questions (FAQ).
Des failles à corriger. Pour cela, il faudra améliorer la fluidité et l’intelligence artificielle des bots. Ainsi, le chatbot de Digitick perd un certain nombre d’internautes au moment d’entrer le département. "Il ne prend en compte que les numéros de département alors que certains l’écrivent en lettres ou entrent un code postal ou une ville. Le module de reconnaissance peut donc être amélioré", concède Xavier Dupont, directeur de Digitick.com.
Tout passera par la voix. En réalité, certaines entreprises regardent déjà au-delà des chatbots, vers les assistants vocaux. On connaît déjà Siri, l’assistant d’Apple aux fonctions relativement limitées. A l’avenir, les bots seront beaucoup plus développés. L’Amazon Echo, véritable assistant personnel déjà disponible aux États-Unis, comprend jusqu’à 98% du langage humain, peut répondre à l’utilisateur et exécuter toutes sortes de tâches. Outre Amazon, Google a sorti en novembre Home, son propre haut-parleur intelligent. La France a pris le train en marche : Orange a travaillé avec les développeurs de Siri pour mettre en place OLA, un dispositif d’interaction orale permettant de commander sa Livebox grâce à son smartphone.
Quid des données personnelles ?
Les chatbots posent la question de la protection des données. Inévitablement, quand il y a interaction entre un internaute et un site marchand, des données sont collectées : pages consultées ou enregistrées, centres d’intérêts, horaires et temps de connexion, localisation…
"Les données des utilisateurs recueillies lors des échanges de messages appartiennent aux sociétés qui développent les bots et qui les transmettent aux entreprises qui utilisent le chatbot", détaille Laurent Couraudon, de MFG Labs. "Toutefois, les intermédiaires (Facebook, Twitter, Amazon…) voient les conversations. Elles ne peuvent pas les utiliser à des fins commerciales mais les amassent en tant que données brutes". Si les chatbots se développent de manière exponentielle, il deviendra sans doute nécessaire de clarifier la législation actuelle sur les données numériques.