Deux Français sur trois ont le sentiment que leur pouvoir d'achat a diminué au cours des douze derniers mois et à peine un sur quatre fait confiance à Emmanuel Macron pour améliorer la situation. Le sondage BVA dévoilé en février n'est pas passé inaperçu. Pour rééquilibrer la balance, le gouvernement a confirmé dimanche, par la voix de son porte-parole Benjamin Griveaux, invité du Grand Rendez-Vous d’Europe 1, le retour en 2020 de la "désocialisation" des heures supplémentaires. Derrière ce jargon un peu barbare, l’exécutif souhaite redonner du pouvoir d’achat aux salariés mais sans aller aussi loin que Nicolas Sarkozy en 2008.
Les revenus supplémentaires imposés. Ce n’est pas pour rien que le gouvernement prépare une "désocialisation" et non une "défiscalisation", comme l’avait fait l’ancien président de la République. Les deux mesures ont le même objectif mais avec des nuances dans l’application. Comme il y a dix ans, le gouvernement, conformément à la mesure inscrite dans le programme de campagne d’Emmanuel Macron, souhaite supprimer les cotisations salariales sur les heures supplémentaires. "Il faut que le travail paye mieux", a argué Benjamin Griveaux sur Europe 1. Mais cette fois, il n’y aura pas d’exonération fiscale : les revenus devront être déclarés.
Défiscalisation des heures supplémentaires, petit historique…
En 2007, la loi TEPA met en place la défiscalisation et l’exonération de cotisations sociales des heures supplémentaires au-delà des 35 heures hebdomadaires légales. La rémunération est majorée de 25%, totalement exonérée des cotisations salariales et bénéficie d’un allègement des cotisations patronales. En 2012, le gouvernement Ayrault abroge la loi TEPA, entraînant de facto la fin des heures supplémentaires défiscalisées. N’a subsisté depuis qu’une réduction forfaitaire des cotisations patronales de 1,5 euro par heure supplémentaire effectuée par les entreprises de moins de 20 salariés. En 2016, la loi El Khomri renvoie à la négociation le taux de majoration, à 25% par défaut mais pouvant être inférieur en cas d’accord, avec un plancher à 10%.
Inciter les gens à travailler plus. Le gouvernement d’Édouard Philippe ne restaure donc qu’un seul des deux volets de la loi votée sous Nicolas Sarkozy. Lors de la campagne, Emmanuel Macron avait justifié ce choix en expliquant que la défiscalisation est injuste car tous les salariés ne sont pas imposables, donc certains ne profitent pas de cet avantage. "Il y a tout de même un intérêt puisque le salaire net issu de ces heures supplémentaires va augmenter. L’idée c’est d’inciter les gens à travailler plus", a expliqué l’économiste Éric Heyer, sur franceinfo.
Reste une question suite à l’annonce de Benjamin Griveaux : pourquoi attendre 2020 ? "Parce que nous avons une question de sérieux budgétaire à tenir, nous avons une trajectoire, des engagements à tenir vis-à-vis de nos partenaires européens", a rappelé le porte-parole du gouvernement dimanche. En effet, la désocialisation des heures supplémentaires risque de coûter cher. "Je ne dispose pas de chiffre. Mais comptez sur Bercy pour nous faire les calculs et les prévisions les plus précis possibles", a glissé Benjamin Griveaux.
Trois milliards d’euros pour l’État. Pas besoin d’attendre les calculs de Bercy pour se faire une idée : selon l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), la désocialisation envisagée par Emmanuel Macron coûterait "aux alentours de trois milliards d’euros par an", selon un chiffrage réalisé en juillet 2017 sur la base de son programme de campagne. Pour l’Institut Montaigne, qui avait également décrypté cette mesure, un allègement de charges sociales pourrait même coûter entre 3,3 et 4,1 milliards.
" L'exonération des heures supplémentaires pourrait détruire près de 19.000 emplois "
Mais si le gouvernement attend 2020, c’est aussi probablement pour profiter d’une conjoncture plus favorable qu’aujourd’hui. "En 2020, on peut espérer avoir un chômage autour de 7%, le niveau structurel. Ensuite, on peut penser qu’on sera aussi plus proche de nos engagements de déficit", avance Éric Heyer sur franceinfo. Deux conditions essentielles pour que les heures supplémentaires désocialisées aient un réel impact. "Ce genre de politique est efficace quand on est au quasi plein emploi, moins en période de chômage de masse comme c’est le cas actuellement", appuie l’économiste.
19.000 emplois supprimés ? "En abaissant le coût d’une heure supplémentaire, cela incite les entrepreneurs à allonger la durée du travail, favorisant alors la situation des insiders (salariés) au détriment de celle des outsiders (les chômeurs)", détaille l’OFCE dans sa note, qui s’appuie sur l’expérience Sarkozy entre 2008 et 2012. Concrètement, il y a aujourd’hui trop de demandeurs d’emploi pour que les heures supplémentaires désocialisées améliorent significativement la situation du marché du travail : les employés travaillent plus et il n’y a donc pas besoin d’embaucher.
Pour l'OFCE, la possibilité pour les chefs d'entreprise de remplacer les recrutements par des heures en plus entraîne donc des suppressions de postes. "L'exonération des heures supplémentaires pourrait détruire près de 19.000 emplois à l'horizon 2022 et coûterait 0,1 point de PIB aux finances publiques. Le financement de cette mesure alourdirait le bilan sur l'emploi : selon le mode de financement retenu, les pertes d'emplois seraient comprises entre 27.000 et 44.000 postes en 2022", souligne l'institut. Par exemple, une hausse de la TVA pour compenser engendrerait 38.000 suppressions de postes, contre 27.000 en cas d’augmentation de l’impôt sur le revenu.
Coup de pouce de 360 euros par an. En revanche, malgré l’absence de défiscalisation, les heures supplémentaires désocialisées donneront un coup de pouce toujours bienvenu aux salariés. Selon l’Insee, 84% des salariés du privé sont à temps complet et la moitié d’entre eux effectue des heures supplémentaires, soit neuf millions de personnes. Cela concerne 55% des hommes contre 37% des femmes, preuve que la pratique est encore très genrée. Pour eux, l’OFCE estime que "la rémunération horaire moyenne d’une heure supplémentaire, hors majoration, se situe à 1,35 fois le Smic, niveau inférieur au salaire médian pour l’économie française (1,57 fois le Smic)".
Concrètement, on parle d’un gain moyen de 0,4 % du niveau de vie des ménages, 88 euros par an et par ménage. Mais le calcul de l’OFCE englobe tous les foyers, y compris ceux qui n’ont pas recours aux heures supplémentaires. En réalité, la mesure rapporterait plutôt autour de 42 euros par mois, selon une étude menée par… Valérie Pécresse, alors ministre du Budget, en 2012. Sans l’avantage fiscal, le gain tombe à moins de 30 euros, soit une cagnotte de 360 euros par an.