Face à une inflation record, la Banque centrale européenne (BCE) a acté jeudi l'arrêt de son soutien monétaire à l'économie, mettant fin à des années d'achats nets d'actifs et planifiant pour fin juillet la première hausse, en plus de dix ans, de ses taux directeurs. Annoncées à l'issue d'une réunion du conseil des gouverneurs, délocalisée à Amsterdam, ces décisions, largement attendues, marquent une sortie de l'ère de l'argent pas cher et abondant.
Une série de hausses des taux suivra dans "les prochains mois"
Derniers à agir parmi les grandes banques centrales, les gardiens de l'euro prévoient de "relever les taux directeurs de 25 points de base" lors de leur prochaine réunion le 21 juillet, avant "une autre hausse en septembre". "Un pas dans la bonne direction, mais qui vient trop tard", a réagi Clemens Fuest, président de l'institut IFO, au diapason d'autres observateurs critiquant la réaction timide de l'institution.
Plusieurs "faucons" parmi les responsables de la BCE, partisans d'une action plus déterminée, avaient plaidé jeudi pour un premier pas de 50 points de base dès juillet, a appris l'AFP auprès d'une source proche des banques centrales. En tout état de cause, une "série" de hausses des taux suivra "au cours des prochains mois" en fonction des perspectives d'inflation, a expliqué la présidente Christine Lagarde.
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Tous les acteurs économiques devront s'adapter à cette nouvelle donne, à commencer par les États de zone euro qui ont vu s'emballer le rendement de leurs emprunts sur le marché de la dette dans la foulée des annonces de la BCE. Leurs budgets, déjà grevés par les dépenses liées à la pandémie, pourraient souffrir de la remontée des taux d'intérêt. Pour les ménages, ce changement de cap se fait déjà sentir dans la hausse des taux d'emprunt immobilier enregistrée ces derniers mois. Mais la BCE n'avait plus le choix.
L'inflation accélère avec la guerre en Ukraine
L'inflation ne cesse de surprendre par sa vigueur, qui s'est encore accélérée avec la guerre en Ukraine. Elle a atteint 8,1% sur un an en mai, avec quatorze pays sur dix-neuf de la zone euro se situant au-dessus de cette moyenne. Du jamais vu depuis l'instauration de la monnaie unique et un niveau quatre fois supérieur à l'objectif de la BCE fixé à 2%. "L'inflation est indésirable" et la BCE "va s'assurer qu'elle revienne à l'objectif", a promis Christine Lagarde.
Le ralentissement espéré de la hausse des prix va encore se faire attendre: la BCE a nettement relevé jeudi ses prévisions d'inflation jusqu'en 2024. Celle-ci devrait monter à 6,8% en 2022, avant de ralentir à 3,5% en 2023 et à 2,1% en 2024. En septembre, la hausse des taux pourrait être supérieure à 25 points de base "si les perspectives d'inflation à moyen terme persistent ou se détériorent", prévient l'institution. En rehaussant leurs taux directeurs, les banques centrales ont pour but de ramener l'inflation sous contrôle et de comprimer la demande.
L'effet de ce tournant se verra "dans la durée", prévient Lagarde
Mais l'effet de ce tournant ne sera pas immédiat et se verra "dans la durée", a déjà prévenu Christine Lagarde. La Fed américaine et la Banque d'Angleterre ont notamment déjà engagé un cycle de relèvement de leurs taux. Avant de commencer à relever les siens, la BCE stoppera "le 1er juillet" ses rachats nets d'actifs qui ont servi à maintenir de bonnes conditions financières depuis leur lancement en 2015, à raison de près de 5.000 milliards d'euros injectés sur le marché.
La sortie de la politique des taux négatifs entamée en 2014, qui a suscité des flots de critiques en Allemagne notamment, est délicate. Cette politique fait que les banques sont taxées -de -0,5% à ce jour- sur leurs dépôts confiés aux banques centrales faute de les distribuer via des crédits. La BCE doit veiller à ne pas casser une croissance européenne déjà sérieusement ébranlée par les conséquences de la guerre en Ukraine.
Les marchés financiers ont réagi négativement aux annonces de la BCE à en juger par la hausse des rendements obligataires de pays plus fragiles comme l'Italie en comparaison des rendements de l'emprunt allemand à 10 ans, qui sert de référence. Les investisseurs ont peu apprécié le flou laissé par la BCE sur la possibilité de mette en place de "nouveaux instruments" pour "limiter la fragmentation" sur le marché de la dette souveraine.