Alors que l’enseigne française Kookaï a annoncé son placement en redressement judiciaire, le prêt-à-porter en France semble s’enfoncer dans une crise. En effet, l’enseigne n’est pas la seule à avoir montré des difficultés financières. Récemment, le groupe Camaïeu a annoncé sa liquidation laissant 2.600 personnes sans emploi et GoSport a également annoncé son placement en redressement judiciaire. Les coupables semblent tout trouvés. La crise du Covid-19 a ébranlé le secteur de l’habillement avec les confinements et les difficultés d’acheminement des vêtements, produits en grand nombre en Asie.
Mais le milieu de la mode est aussi secoué par de grandes transformations, à commencer par la grande envolée de la seconde main avec des applications de revente comme Vinted et des changements de comportements des consommateurs, séduits par une démarche plus éco-responsable. Mais cela ne suffit pas à expliquer la situation. Pour Yann Rivoallan, président de la Fédération du prêt-à-porter féminin, le mal est plus profond.
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Un retard sur la transformation numérique
"Le segment de la moyenne gamme en France est en difficulté pour plusieurs raisons. La première est la transformation numérique, qui fait que depuis plus de vingt ans, il y a une baisse de trafic dans toutes les boutiques." Or selon le spécialiste, cette transformation numérique s'est faite en France avec un temps de retard. Les très grandes sociétés, qu'elles soient dans le luxe ou dans la fast-fashion comme Zara et H&M ont pu massivement investir dans une stratégie digitale, alors que certaines plus petites enseignes sont passées à côté.
"J'éprouve une certaine tristesse à voir l'enseigne Kookaï disparaître car c'est une marque avec une identité forte. On se souvient des 'Kookaïettes' des années 1980 et 1990, une communauté de femmes qui se voulait impertinente, libre et très fraîche à l'époque. Et le lien social qui s'est tissé entre les vendeurs et les consommatrices au sein des boutiques, notamment dans des villes comme Rodez, Angers ou Brest, est petit à petit détruit", s'attriste-t-il.
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La concurrence de l'ultra fast-fashion
"La deuxième raison est le développement - dramatique à mon sens - de l'ultra fast-fashion avec des marques comme Shein, très fortes en marketing numérique, mais qui ont des conditions de production inhumaines en Chine ou au Bangladesh", détaille Yann Rivoallan. Ces marques boostent leurs ventes en proposant de très petits prix et un renouvellement des collections quasiment quotidien, et concurrencent outrageusement les autres enseignes du secteur.
"Finalement ce qu'on observe c'est un délitement du moyenne gamme dans tous les secteurs. Les consommateurs font le choix soit du prix, soit de la qualité et d'une démarche plus éco-responsable donc s'orientent vers des produits plus chers. Pour comparer au monde du cinéma, tous les films de 'moyenne gamme' - à commencer par les comédies françaises - séduisent moins, au profit de blockbusters ou au contraire de films d'auteurs", analyse le spécialiste. Cependant, certaines marques françaises, en optant pour une forte présence sur différentes plateformes numériques et en développant une démarche plus sociétale et écologique, semblent tirer leur épingle du jeu. À commencer par la bonne santé des enseignes Bash et Petit Bateau, cette dernière axant sa communication sur son origine familiale.