"Un choix très clair se présente désormais à nous, à vous : le choix entre la défaite assurée et la victoire possible, le choix entre des promesses irréalisables et infinançables (sic) et une gauche crédible qui assume les responsabilités du pays" : dès dimanche soir, Manuel Valls a ciblé ses attaques contre Benoît Hamon, arrivé en tête au premier tour, sur la crédibilité de ces mesures et leur chiffrage.
Justement, combien coûtent les mesures phare du candidat frondeur ? Et comment compte-t-il les financer ?
Europe 1 a tiré au clair le budget du programme de Benoît Hamon.
Dépenses : tout pour le revenu universel
- Le revenu universel d'existence
Que propose Benoît Hamon ?
Dans son programme, Benoît Hamon décrit le processus de création de son revenu universel d'existence : "Dès 2018, le RSA sera augmenté de 10% à hauteur de 600€ et versé automatiquement à tous les ayant-droits. La même année, un revenu d’existence sera versé à tous les jeunes de 18 à 25 ans quel que soit leur niveau de ressources. Ce revenu sera ensuite étendu à l’ensemble de la population. A terme, il atteindra la somme de 750 euros."
En restant volontairement flou, Benoît Hamon se réserve le droit d’arrondir les coins de son revenu universel. Il pourrait notamment décider de le verser aux plus de 25 ans avec condition de ressources. Dans une interview à Libération, il évoque un éventuel plafond à 2.000 euros de revenus par personne. Des fusions partielles avec plusieurs autres allocations sont également envisagées.
Combien ça coûte ?
Benoît Hamon estime qu'une fois complètement mis en place, son revenu universel de 750 euros coûtera 300 milliards d'euros par an à l'État. Un coût non négligeable puisqu'il équivaut à plus de 13% du PIB français. Pour Manuel Valls, Benoît Hamon sous-estime le coût de son revenu universel, plutôt situé, selon lui, autour de 350-400 milliards. L'Institut Montaigne a coupé la poire en deux dans son chiffrage. Pour le think tank, le revenu universel coûtera 305, 349 ou 424 milliards d’euros par an en vitesse de croisière, selon que le candidat supprime certaines aides familiales ou non.
Dans l'hypothèse où Benoît Hamon choisirait de fixer un plafond d'attribution à 2.000 euros, le revenu universel d’existence aurait, selon l'Institut Montaigne, un coût brut (avant recettes induites) de 260 milliards d’euros, contre 372 en cas d’attribution à l’ensemble de la population.
- L'amélioration du système éducatif
Que propose Benoît Hamon ?
Le vainqueur du premier tour accorde beaucoup d’importance à l’Éducation nationale, sans regarder à la dépense. Il souhaite revaloriser rapidement le salaire des enseignants, augmenter leur nombre de jours annuels de formation (3,5 ou 10 selon l'ancienneté) et mettre en en place une aide gratuite aux devoirs.
Combien ça coûte ?
Aucun montant n'est spécifié pour la revalorisation des salaires des enseignants. On ne sait pas non plus quel cycle d’études serait concerné. A titre de comparaison, lors de la primaire de la droite et du centre, Bruno Le Maire avait proposé une revalorisation de 8 % pour ceux qui enseignent à l’école primaire, de 11% pour ceux qui enseignent au collège et de 13 % pour les professeurs agrégés. L'ensemble était estimé par l'Institut Montaigne à un coût de 2,2 milliards d'euros par an.
Sur la formation, la Cour des comptes estimait en 2012 que le dispositif coûtait 1 milliard d'euros par an pour une moyenne de 2,5 jours par enseignant. Sur la base d'une répartition moyenne de l'augmentation des jours de formation, le think tank juge que la mesure coûterait 1 milliard d'euros de plus par an.
Enfin, en ce qui concerne l'aide gratuite aux devoirs, il est pratiquement impossible d'en chiffrer le coût. Le dispositif est déjà disponible pour les enfants qui en font la demande. Interrogé par Europe1.fr sur le coût de cette proposition, Régis Juanico, porte-parole de Benoît Hamon, donnait un ordre de grandeur très vague : "L’Éducation nationale doit être une priorité. Je pense qu’on ne devrait pas avoir de mal à trouver 500 millions d’euros pour ça, voire même un peu plus".
- Et aussi
Parmi les nombreuses propositions de Benoît Hamon, beaucoup ne sont pas précisément chiffrées et donc impossible à budgeter. Il veut revaloriser le SMIC et le point d’indice des fonctionnaires mais ne dit pas dans quelles proportions. Il proposer de créer une TVA incitative pour les produits à faible empreinte carbone, mais là encore, pas de chiffre. Il souhaite lancer un grand plan d'investissement pour la rénovation énergétique mais n'en donne pas le montant ou encore renforcer le budget de la défense et le faire atteindre 3% du PIB…
Recettes : des impôts et des taxes
- La fiscalité des ménages
Que propose Benoît Hamon ?
Benoît Hamon veut appliquer une individualisation de l’impôt sur le revenu. Aujourd'hui, pour les couples mariés ou pacsés, l'impôt sur le revenu est calculé par le biais du quotient conjugal : on additionne les revenus des conjoints, on divise en deux parts égales (plus s’ils ont des enfants grâce au quotient familial) et on applique à chacune le barème de l'impôt sur le revenu. Selon le site d'information administrative du gouvernement, grâce au quotient conjugal, "60% des couples mariés ou pacsés paient moins d’impôts que s’ils étaient imposés séparément".
Benoît Hamon veut également instaurer un impôt unique, "simple et progressif" sur le patrimoine. Il souhaite fusionner la taxe foncière et l'impôt sur la fortune, trop complexes et sources de distorsions qui permettent aux "ménages les plus aisés de les éviter".
Combien ça rapporte ?
L'individualisation en elle-même de l'impôt sur le revenu rapporterait 6 milliards d'euros par an à l'État, indique l'Institut Montaigne. Bien que Benoît Hamon ne le précise pas, l'individualisation impliquerait certainement la suppression du quotient familial, soit un gain de 13 milliards d'euros, son "coût" actuel. Au total, cette proposition rapporterait 19 milliards par an et même 24 à en croire Benoît Hamon.
Concernant l'impôt unique sur le patrimoine, il n'est pas possible de savoir combien il rapportera précisément. Cette mesure vise toutefois à mieux encadrer l'imposition du patrimoine et devrait engendrer des revenus supplémentaires pour l'État.
- La fiscalité des entreprises
Que propose Benoît Hamon ?
Le vainqueur du premier tour de la primaire est partisan d'un contrôle accru des pratiques d'optimisation fiscale des entreprises. "J’adapterai notre fiscalité et nos règles constitutionnelles pour que les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) n’y échappent plus alors qu’ils ont un établissement stable en France", écrit le candidat.
Autre mesure qui a beaucoup fait parler, la création d'une "taxe sur les robots". La proposition de Benoît Hamon consiste à taxer la richesse créée par les machines qui remplacent le travail humain (comme les caisses automatiques) afin qu'elle ne tombe pas uniquement dans l'escarcelle des actionnaires. Concrètement, il souhaite "appliquer les cotisations sociales sur l’ensemble de la valeur ajoutée et non plus seulement sur le travail".
Combien ça rapporte ?
S’il parvient à imposer plus strictement les multinationales, notamment dans le numérique, qui bénéficient de montages fiscaux, les bénéfices pourraient être importants pour l'État au vu du chiffres d'affaires de ces entreprises. Google n'a payé que 6,7 millions d'impôts en 2015 mais le parquet national financier lui réclame 1,6 milliard d'euros pour compenser ses pratiques fiscales des dix dernières années.
Pour la "taxe sur les robots", impossible à l'heure actuelle d'évaluer concrètement les recettes éventuelles d'une telle proposition. Il faudrait faire le compte entreprise par entreprise en fonction de la proportion de travail mécanisé ayant remplacé le travail humain.
Enfin, le conditionnement du CICE à "la réalisation d’objectifs de création de postes, de progrès écologiques, et d’une réduction du temps de travail" devrait engendrer quelques économies par rapport au dispositif non-conditionné actuel.
- Les autres recettes
Dans une tribune publiée par Les Échos, Benoît Hamon envisage "avec prudence" des "fusions ciblées" de son revenu universel avec les minima sociaux (23 milliards d'euros), les aides au logement (18 milliards) ou les prestations familiales (53 milliards) ; il compte supprimer, sur les 84 milliards d'euros de niches fiscales, celles qui sont injustes et inefficaces ; la lutte contre l’évasion et l’optimisation fiscale permettrait de rapatrier 80 milliards d’euros…
>>> En bref : un programme à préciser
A l'heure actuelle, les propositions de Benoît Hamon ne sont pas équilibrées sur le plan budgétaire et Manuel Valls peut légitimement l’attaquer sur ce point. Notamment car le programme du frondeur manque de précisions budgétaires – qu’il donnera certainement s’il remporte la primaire. Toutefois, le déséquilibre actuel est causé uniquement par le revenu universel. Son coût exorbitant semble impossible à financer tel qu’il est présenté actuellement, même avec les propositions de taxes et d’impôts du candidat. En revanche, la plupart des autres mesures chiffrables présentent un coût raisonnable, y compris l'amélioration du système éducatif.