"Toutes les idées fortes et nouvelles connaissent le même sort. Elles commencent par faire sourire. Puis elles sont dénoncées parce qu'elles menacent l'ordre établi. Enfin, elles s'imposent telle une évidence." Sept mois après son élimination de l’élection présidentielle, Benoît Hamon a de nouveau de quoi se réjouir : malgré les 6,36% de voix recueillis par le candidat socialiste au premier tour, son idée d’un revenu de base (ou revenu universel) perdure. Dimanche, huit présidents de département ont annoncé dans le JDD la mise en chantier d’expérimentations locales. Un test qui s’ajoute aux deux autres en phase de gestation dans l’Hexagone.
Un premier projet dès 2015. Évidemment, l’essor du revenu universel n’est pas uniquement dû au coup de projecteur donné par Benoît Hamon pendant sa campagne. Le premier projet d’expérimentation est né en 2015 en Nouvelle-Aquitaine (ex-Aquitaine). Plusieurs élus régionaux du Parti de gauche, Nouvelle Donne et EELV ont porté une motion pour expérimenter le revenu universel (un "RSA inconditionnel" comme c’était formulé alors). Pas favorable à l’idée, le président socialiste Alain Rousset n’a pas opposé de veto et le test sur le terrain a été voté. Après moult réunions préparatoires, une feuille de route a été adoptée en septembre 2016.
Le revenu de base expérimenté en Nouvelle-Aquitaine se fera sur la base du volontariat. La popularisation du concept pendant la campagne a poussé de nombreuses communes à se signaler à la région pour faire partie du dispositif. Mais la présidentielle a aussi marqué un coup d’arrêt pour le projet. "On ne voulait pas le lancer comme un instrument électoral et créer des stéréotypes. On l’a vu dans le débat de la primaire socialiste, le discours s’est réduit à « si on est pour le revenu universel, on est contre la valeur travail. J’ai donc décidé que je suspendais le projet pendant la campagne", expliquait Martine Alcorta, conseillère régionale EELV déléguée à l’innovation sociale et sociétale, en charge de l’expérimentation, en début d’année.
Une expérimentation en 2018 ? La réflexion a repris en septembre, notamment pour définir le montant du revenu de base. Aux dernières nouvelles, la région se dirigeait vers un revenu "autour de 1.000 euros", "qui permettrait à tous de faire les choix quotidiens, humains, de société" dont ils n’ont pas la liberté aujourd’hui, précisait Emmanuelle Vigneaux, chef du projet pour la région Nouvelle-Aquitaine, lors d’une conférence dédiée au revenu universel. Les élus qui pilotent l’expérimentation doivent rendre leurs conclusions en 2018.
Un test via le crowdfunding. Mais le test en Nouvelle-Aquitaine pourrait bien être devancé par un autre projet, à plus petite échelle toutefois. Début novembre, Julien Bayou, conseiller régional et porte-parole d’EELV a lancé une plateforme de crowdfunding pour financer l’expérimentation d’un revenu de base avec un mot d’ordre : "Et vous ? Que feriez-vous avec 1.000 euros par mois pendant un mois ?". Organisée par l’association Mon Revenu de Base, la collecte a amassé 34.000 euros en trois semaines, soit un peu moins de trois revenus de base, versés pendant un an à trois personnes tirées au sort, sans aucune condition de ressources.
Il suffit de lire la description du projet par ses fondateurs pour voir que l’esprit de Benoît Hamon les a inspiré : "C'est la même démarche que les expérimentations des mutuelles ou de la couverture des accidents du travail au siècle dernier : ça semblait impossible, jusqu'à ce que quelques conspirateurs positifs non seulement le rêvent mais l'expérimentent pour convaincre, avant que ça ne devienne la norme". En Allemagne, un projet similaire a permis de verser une centaine de revenus de base depuis trois ans.
Dans les départements, un test grandeur nature. La tribune signée par les présidents socialistes de huit départements (Gironde, Aude, Ariège, Gers, Meurthe-et-Moselle, Haute-Garonne, Ille-et-Vilaine, Seine-Saint-Denis) ancre un peu plus le revenu universel à l’échelle locale. Pour eux, il pourrait s’agir d’une alternative au RSA, qui "échoue à vaincre la pauvreté". Mais l’expérimentation n’est pas pour tout de suite. Les élus ont commandé une étude à l’Institut des politiques publiques, dont les conclusions sont attendues au printemps (périmètre de versement, conditions d’attribution, niveau du revenu de base, etc.). En fonction, ils décideront des modalités du test in vivo. Finalement, 2018 pourrait bien marquer l’essor franc du revenu universel que Benoît Hamon appelle de ses vœux.