Le revenu universel est-il vraiment une mesure de gauche ?

Benoît Hamon 1280
Benoît Hamon a popularisé l'idée du revenu universel en France. © JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP
  • Copié
Clément Lesaffre
En France, le débat sur le revenu universel est porté par le socialiste Benoît Hamon. En réalité, cette idée est évoquée, chez nous et ailleurs, par l’ensemble de l’échiquier politico-économique.

Benoît Hamon a fait du revenu universel la mesure phare de sa campagne pour l’élection présidentielle. Au point que le projet d’une allocation au montant unique, versée à tous les citoyens, sans condition de ressources et à vie, est désormais associé à la ligne économique sociale et protectrice que revendique le candidat du PS. Une ligne qui est également celle de Yannick Jadot, avec qui Benoît Hamon cherche à nouer un accord. Le candidat écologiste défend lui aussi l’idée d’un "revenu d’existence".

Une idée qui date de 1516 ! Que ce soit deux candidats de gauche qui portent le projet d’un revenu de base n’a rien d’étonnant. La trace la plus ancienne du revenu universel se trouve dans le livre Utopia, écrit en 1516 par le philosophe Thomas More, également considéré comme l’un des précurseurs du socialisme. More y décrit une société idéale où chacun aurait les moyens de subsister sans dépendre de son travail. Depuis, de nombreux penseurs ont développé l’idée d’un revenu de base au cours des siècles, du révolutionnaire anglais du 18ème siècle Thomas Paine à l’économiste Milton Friedman en 1962, en passant par Montesquieu ou Martin Luther King.

En France, des économistes s’engagent. La France a hérité de cette tradition d’un revenu visant à protéger les plus démunis des aléas de l’existence. Ainsi, dix économistes et sociologues, avec en chef de file Thomas Piketty, plutôt classé à gauche, ont récemment cosigné une tribune dans Le Monde pour soutenir le projet de Benoît Hamon, jugeant que le revenu universel est "économiquement crédible et socialement audacieux".

Les politiques ouvrent le débat. Côté responsables politiques, il faut mentionner Daniel Percheron, sénateur socialiste du Pas-de-Calais. En octobre 2016, il a rendu un rapport mené pour le compte d’une mission d’information du Sénat. La commission et lui se disent favorables à l’expérimentation locale du revenu de base. "Depuis 40 ans, le marché ne suffit plus. La mondialisation a fait des gagnant et des perdants", expliquait-t-il lundi lors d’une conférence organisée par le Mouvement français pour le revenu de base (MFRB). "Il s’agit maintenant de tendre la main aux perdants et le revenu universel peut être une solution efficace".

Premiers essais en 2018 ? Un appel qu’a entendu la Nouvelle-Aquitaine. A l’initiative de la conseillère écologiste Martine Alcorta, la région présidée par le socialiste Alain Rousset a entamé un processus de réflexion devant aboutir, en cas d’accord de financement de l’État, à une expérimentation pratique. Plusieurs villages se sont portés candidats pour lancer le test en 2018. Le montant et les modalités de versement restent encore à déterminer.

Les libéraux ne sont pas en reste. Au vu de ces projets et prises de position, on pourrait être tenté de croire que le revenu de base est bel et bien une mesure de gauche. Sauf que ce serait aller un peu vite en besogne. De l’autre côté du champ économique aussi on s’intéresse aussi au revenu universel. C’est le cas du think tank libéral Génération Libre. Son fondateur, Gaspard Koenig, a travaillé avec l’Association pour l’instauration du revenu d’existence (AIRE) afin d’établir un modèle.

Il propose l’attribution à chacun d’un revenu mensuel sous forme de crédit d’impôt. L’État verse un revenu fixe à tous les citoyens et instaure une taxe proportionnelle aux revenus. En découle un seuil de revenu total au-dessus duquel le solde "revenu universel – impôt de financement" est négatif. Ce système permet, selon le think tank, de lutter contre la pauvreté sans ruiner l’État.

La Silicon Valley s’y met. Un coup d’œil à ce qui est fait à l’étranger permet de se rendre compte que le revenu universel n’est pas automatiquement considéré comme une mesure de gauche. Aux États-Unis, l’idée est particulièrement vivace… dans la Silicon Valley ! Plusieurs figures de l’économie numérique ont publiquement pris position pour l’instauration d’un revenu de base. Chris Hughes, cofondateur de Facebook, a créé un groupe de recherche, l’Economic Security Project, pour faire avancer le débat sur le revenu de base outre-Atlantique. "C’est une question de liberté. Si vous n’avez plus à vous soucier de commettre des erreurs, alors vous pouvez inventer le futur", a-t-il expliqué à Europe1.fr.

 

Autre soutien de poids qui n’est pas franchement un "homme de gauche" : le fantasque Elon Musk (Tesla, SpaceX), dont la fortune est estimée à 13,2 milliards d’euros. Il a affirmé le 13 février à Dubaï : "Avec l’automatisation du travail, il y aura une abondance. Presque tout sera très bon marché. Je pense que nous allons finir par faire un revenu de base. Ça va être nécessaire".

La Finlande expérimente déjà. Plus près de nous, la Finlande a lancé la première expérimentation à échelle nationale d’un revenu de base. Depuis le 1er février, l’État verse une allocation de 560 euros par mois à 2.000 personnes de 25 à 58, tirées au sort. Elles vont en bénéficier pendant deux ans, qu’elles aient ou non un emploi. Cette expérimentation est menée par un gouvernement de coalition de centre-droit, avec l’aval du Président, un conservateur libéral.

Désaccord sur le montant. Alors quelles différences entre le revenu universel "social" et celui défendu par les "libéraux" ? On peut noter des divergences en termes de moyens de financement et de modalités de versement mais le principal point d’achoppement a trait au montant du revenu de base. La ligne "Benoît Hamon" considère que le revenu universel doit être une garantie contre la pauvreté. Il faut donc verser à chacun une somme permettant, en l’absence de revenus complémentaires, de vivre avec le minimum décent (sachant que d’autres allocations comme l’aide au logement sont conservées). Dans ce cas de figure, le revenu universel se situe entre 700 et 900 euros.

Pour les libéraux, le revenu universel ne doit pas se transformer en "assistanat" et décourager le travail. D’où la nécessité de verser une somme moins élevée. Gaspard Koenig privilégie un revenu à peine supérieur à celui du RSA, soit entre 500 et 600 euros. En Finlande, le revenu versé est compris dans cette fourchette. Pour les tenants de cette vision, le revenu de base remplace ou compile différents aides aux personnes démunies.

Tout est possible. Mais, comme le souligne Chris Hughes, les réflexions actuelles sont balbutiantes : "On peut commencer à tester 200 ou 300 euros par mois. Et en fonction des résultats, on peut monter progressivement, pourquoi pas jusqu’à 1.000 euros ?". Il n’est donc pas impossible qu’à l’avenir, les lignes "sociales" et "libérales" convergent autour du revenu universel.