Journée mondiale de lutte contre le sida oblige, cette maladie a droit jeudi à une large couverture médiatique, le plus souvent sous l’angle médical, d’autant plus que les chercheurs n’ont toujours pas trouvé de remède. Mais cette maladie est aussi un véritable défi économique lorsqu’elle se propage dans une société, fragilisant à la fois la population, les entreprises et l’administration, à l'image de ce qu'il se passe dans la zone actuellement la plus concernée : l'Afrique subsaharienne.
Le sida bouleverse l’économie. Le développement de cette maladie bouleverse le fonctionnement d'une société par bien des aspects, comme le résume une étude de l’Onusida, le progamme onusien en charge de cette maladie. Affaiblis, les individus infectés sont moins productifs et plus souvent absents, que ce soit pour se soigner ou pour assister aux funérailles d’un proche infecté. La mortalité bondit également : en 2002, le Haut Conseil de la santé publique estimait qu’en Afrique subsaharienne, la zone la plus touchée, la mortalité devrait être 40% plus élevée à cause du sida. C'est alors autant de travailleurs et de consommateurs en moins et, le plus souvent, des adultes dans la force de l’âge.
L’apparition du sida provoque également une explosion des dépenses de santé qui devient insurmontable dans les pays où le niveau de vie est très faible et le système de santé atrophié. Mais le sida rattrape aussi les proches du malade, qui travaillent moins pour pouvoir s’en occuper. Enfin, le sida porte préjudice au niveau moyen de formation : d’abord parce que les enfants de parents malades arrêtent l’école pour pouvoir travailler et les aider, ensuite parce que les enseignants eux-mêmes peuvent être infectés et priver leurs élèves de cours. Poussé à l’extrême, le phénomène peut gravement déstabiliser tout le système éducatif. "C’est le cas en Zambie, où les enseignants sont particulièrement touchés : 40% sont infectés par le VIH et le nombre de ceux qui meurent augmente plus rapidement que le nombre de ceux qui sortent de formation", alerte l’Onusida.
Un frein économique certain mais difficile à chiffrer. Si les multiples conséquences du sida sont bien identifiées, leur impact économique est plus difficile à évaluer. D’abord à cause d’un manque de statistiques fiables là où le sida fait le plus de ravages, notamment en Afrique. Ensuite parce que les régions les plus touchées sont aussi celles qui doivent faire face à d’autres causes de mortalité : autres affections mortelles, sécheresse, conflits armés, etc. Il est donc difficile d’isoler le seul facteur sida pour estimer précisément son impact.
Plusieurs organismes ont néanmoins tenté l’exercice. "D’après les estimations de l’Onusida, dans les pays dont le taux de prévalence du VIH dépasse 20 %, le produit intérieur brut (PIB) pourrait être réduit de 2 % par an. En Afrique du Sud, la banque d’affaires ING Barings a projeté que le VIH/sida pourrait entraîner une baisse de 0,3 à 0,4 % par an du PIB", avançait ainsi l’ONU dans une publication en 2001. En 2006, le Bureau international du Travail (BIT) affinait cette estimation : "les 43 pays les plus durement touchés ont perdu en moyenne 0,5 points de pourcentage de leur croissance économique chaque année entre 1992 et 2004 en raison de l'épidémie. Parmi eux, 31 pays d'Afrique subsaharienne ont perdu 0,7 points de pourcentage de leur taux annuel de croissance économique".
Une autre manière d’estimer l’impact du Sida est d’observer l’évolution des rendements agricoles. "Une étude menée en 2002 au Swaziland, sur l’impact du VIH sur la petite production agricole, notait une réduction de 34 % des terres cultivées, de 54 % de la culture de maïs et de 29 % du cheptel, pour les ménages touchés par l’infection", souligne ainsi l’Association de Recherche, de Communication et d'Action pour l'accès aux Traitements (Arcat) dans Le Journal du sida. L’ONU a, lui, réalisé une enquête au Zimbabwe, où les chiffres sont tout aussi éloquents : lorsqu’un membre d’une famille d’agriculteurs est touché par le Sida, la production de maïs s’effondre (-61%), tout comme celle de coton (-47%). Si les chiffres diffèrent, les effets néfastes de la maladie sur l’économie sont une nouvelle fois avérés.
Des conséquences à plus long terme. Non seulement le sida met à mal l’économie des ménages et d’un Etat dans son ensemble, mais il hypothèque également le futur. "Le VIH accroît le risque de déscolarisation des enfants et de travail précoce, parce que les parents sont morts ou ont besoin d’une nouvelle source de revenus. Privés de l’éducation nécessaire pour acquérir des compétences, confrontés plus tôt à la précarité, les jeunes risquent davantage de contracter eux-mêmes le VIH et de se retrouver au chômage", résume le n°196 du Journal du sida. Le problème est encore plus prononcé dans le monde rural, où la scolarisation est plus courte et aléatoire, si bien que la transmission du savoir-faire agricole se fait surtout au niveau familial : la mort prématuré du/des parents prive alors les enfants des connaissances nécessaires pour faire perdurer l’exploitation. Le problème est tel que l’Organisation des nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a décidé en 2003 de créer au Mozambique des écoles d’Agriculture et de Vie.