"Je ne vais pas au conflit. Je ne veux pas passer en force, je veux avancer." Édouard Philippe a beau jouer la détente pour faire passer l’annonce de la réforme du rail, les syndicats eux, sont sur le pied de guerre. Crispés sur la suppression progressive du statut des cheminots, ils font aussi des ordonnances voulues par le gouvernement un "casus belli". Les fédérations CGT, Unsa, Sud et CFDT doivent décider mardi après-midi d'entériner ou non le principe d'une grève unitaire en mars. La menace d’un printemps noir plane sur la SNCF.
La CGT veut "un mois de grève". Dans les heures qui ont suivi l’annonce lundi par Édouard Philippe et la ministre des Transports Élisabeth Borne de cette réforme du rail, les organisations syndicales sont montées au créneau. Philippe Martinez, secrétaire général de la CGT, promet déjà une "réponse appropriée" des syndicats à une "attaque gravissime". "On ne peut pas accepter le fait de dire que demain, les futurs employés de la SNCF ne seraient pas embauchés au statut", a ajouté Cédric Robert, porte-parole de la CGT-Cheminots.
"Nous allons relever le défi. On est sûrement parti pour l'un des plus importants mouvements sociaux de l'histoire de la SNCF", a assuré au Parisienle secrétaire général de la CGT-Cheminots, Laurent Brun. Le premier syndicat de la SNCF envisage d’ores et déjà "un mois de grève" pour "faire plier le gouvernement". Même son de cloche chez les "camarades" de la CFDT. Dénonçant "une attaque sans précédent" contre les cheminots, la centrale accuse le gouvernement de "priver tous les acteurs de la concertation nécessaire" en annonçant des ordonnances et d'avoir "déjà pris" les décisions. "Je ne laisserai personne cracher à la figure des cheminots", s'est exclamé le pourtant modéré secrétaire général, Laurent Berger, interrogé par Les Échos.
Unité autour d’un "mouvement dur". La CFDT-Cheminots, quatrième en termes de représentativité au sein de la SNCF, propose une "grève reconductible à partir du 14 mars". L'Unsa (2ème) et SUD-Rail (3ème) veulent aussi une grève. "Un mouvement dur", prévient d’emblée SUD-Rail. L'Unsa-ferroviaire a indiqué qu'elle proposerait mardi aux autres organisations une grève "avant le 22 mars", date d'une journée de mobilisation commune avec les agents de la fonction publique. Après leur réunion, les syndicats doivent être reçus jeudi par la ministre des Transports. Pour eux, le gouvernement "porte l'entière responsabilité d'un conflit majeur."
Le gouvernement ne croit pas à une redite de 1995. Avec un taux de syndicalisation de 18%, nettement plus que la moyenne nationale de 11%, le secteur des transports a les moyens de rassembler une large base de grévistes. De quoi inquiéter les voyageurs, premiers à subir les conséquences d’une éventuelle grève de longue durée à la SNCF. Pour autant, le gouvernement écarte cette hypothèse. "Je ne crois pas un seul instant que des syndicats, y compris la CGT, qui sont responsables, qui connaissent leur outil de travail, qui aiment leur métier, soient capables de prendre en otage les Français pendant de très longues semaines", a affirmé Gérald Darmanin sur RTL.
"Beaucoup se souviennent de 1995, je crois qu'on n'est pas du tout dans la même ambiance", a-t-il dit en référence aux trois semaines de grève qui avaient mis à l'arrêt les transports publics et fait reculer le gouvernement sur un plan de réforme du rail (et des retraites) présenté par le Premier ministre d'alors, Alain Juppé, dans un contexte social très tendu. Sur Europe 1, Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, assure qu'il "ne croit pas" à un mouvement social similaire à celui de 1995. "Y a-t-il un risque de mobilisation de l'ensemble du corps social de l'entreprise ? Pour quelques mouvements, sans doute. Pour quelques jours, vraisemblablement. Pour une grève de longue durée, je ne le crois pas."
Le service minimum comme garde-fou. Deux obstacles se dressent en travers de la volonté des syndicats de durcir le ton. D’abord, le service minimum instauré par Nicolas Sarkozy qui oblige les cheminots souhaitant cesser le travail à se déclarer 48 heures en amont. Théoriquement, si tous les conducteurs se mettent en grève, il n’y aura pas de trains, car il n’y a pas d’obligation de circulation des trains. Mais c’est une hypothèse hautement improbable. L’intérêt du service minimum est surtout de permettre à la SNCF de prévoir ses effectifs et donc le trafic à l’avance et ainsi de prévenir les voyageurs impactés par la grève. De quoi éviter la pagaille dans les gares à cause des trains supprimés.
D’autant plus qu’en novembre, le service minimum à la SNCF a été élargi aux cheminots en contact avec les voyageurs. Désormais, en plus des conducteurs, aiguilleurs, etc., les guichetiers, les techniciens et aussi les fameux "gilets rouges" chargés d’informer les usagers sont concernés par le service minimum. Malgré tout, une grève longue voire illimitée pourrait atténuer l’efficacité du service minimum puisque dans ce cas, la direction aurait plus de difficultés à ajuster ses effectifs.
Les jours de grève pas payés. Pour éviter justement d’en arriver à ce genre de grève qui s’enlise, la SNCF exclut depuis plusieurs années de payer les jours de grève. De quoi sérieusement dissuader une partie des salariés, pas forcément prêts à sacrifier une semaine de salaire, voire un mois si l’appel de la CGT est suivi. Il est toutefois possible, dans certains cas, de négocier avec la direction pour étaler les jours de grève sur plusieurs mois. Enfin, les syndicats peuvent constituer des fonds pour indemniser les grévistes mais pas sur un mouvement national aussi long.
Le dernier mouvement social d’ampleur à la SNCF remonte au printemps 2016, quand les syndicats avaient multiplié les journées de grève (mais pas de grève continue) pour peser sur les négociations autour d’un cadre social unifié visant (déjà) à préparer l’ouverture à la concurrence. A l’époque, le service minimum avait plutôt bien fonctionné. Le 26 avril par exemple, lors du troisième mouvement de l’année, la SNCF avait compensé les perturbations (un TGV sur deux, 40% de TER, 30% d’Intercités) par l’envoi de 500.000 SMS les jours précédents. Le jour même, les principales gares parisiennes étaient donc plutôt fluides.