Et si on payait les chômeurs à travailler ? C’est le pari un peu fou de quelques "utopistes", comme ils se définissent, en 2016 lors du lancement du dispositif "zéro chômeur de longue durée". Le principe est simple : l’État finance des créations d’emplois destinées à des personnes au chômage depuis plus d’un an pour les réinsérer dans le marché du travail. Adoptée par l’Assemblée puis lancée sur le terrain dans dix territoires début 2017, l’expérimentation a engendré 420 embauches en CDI en un an. Une réussite qui ne demande qu’à être étendue. C’est en tout cas ce qu’espèrent ses défenseurs, reçus jeudi à l’Élysée.
L'État finance. Sur le terrain, le dispositif zéro chômeur peut prendre plusieurs formes. "Nous sommes sollicités par des élus locaux, des associations, des entrepreneurs qui ont des besoins", explique sur Europe 1 Laurent Grandguillaume, président de l’association Territoires zéro chômeur et ex-député PS à l’origine de l’expérience. Si le besoin de main d’œuvre est limité, un emploi est créé au sein d’une entreprise ou un organisme. Si c’est un besoin plus vaste, il faut fonder une entreprise à but d’emploi (EBE), une société à but non lucratif qui embauche des chômeurs et les propose comme main-d’œuvre aux entreprises et aux collectivités locales.
L’État finance en réorientant les sommes qui auraient été dépensées pour ces chômeurs (allocations, soins). "Un chômeur longue durée coûte 17.000 euros par an, hors dépenses de l’Unédic. Avec les allocations, ça monte à 25.000 euros. Or, le coût d’un Smic, c’est 20.000 euros par an, à peu près dans les mêmes eaux", détaille Laurent Grandguillaume. "On active des dépenses passives pour créer des activités utiles qui n’existeraient pas autrement."
" On construit l’offre à partir des compétences des personnes qui nous rejoignent "
"Je passais des journées entières en pyjama". C’est grâce à une EBE que Geneviève Moreau a relancé sa carrière. Ancienne cadre administrative à Sciences Po, elle a passé trois ans au chômage après une rupture conventionnelle. Une situation qu’elle vit très mal. "Quand on est au chômage longtemps, on perd tout contact avec la société, on n’ose même plus sortir de chez soi. Je passais des journées entières en pyjama", raconte-t-elle sur Europe 1, dans l’émission Circuits Courts. L’an dernier, elle entend parler de La Fabrique, une entreprise qui cherche des personnes inactives pour différentes tâches, près de Nancy. "J’étais tellement dans le déni du chômage, tellement en dépression, que je me suis présentée en tant que bénévole alors que bien sûr que je pouvais retravailler."
Geneviève intègre donc cette EBE pour un travail administratif. "Mon emploi a été créé en fonction de mes compétences. Je gérais les bourses à Sciences Po, aujourd’hui j'accompagne les chômeurs qui se lancent", explique-t-elle. S’adapter aux profils, c’est la solution apportée par le dispositif zéro chômeur à l’inactivité. "On embauche les chômeurs en CDI, au Smic, et on construit l’offre à partir des compétences et des envies des personnes qui nous rejoignent", précise Bertrand Foucher patron de l’EBE EmerJean, à Villeurbanne. En quelques mois, cette entreprise de services à la personne a recruté 40 chômeurs de longue durée, un chiffre qui doit doubler d’ici la fin de l’année.
"C’est un retour dans la vie réelle". Parmi eux, Bénédicte, mère de quatre enfants au chômage depuis deux ans et qui gère à présent une multitude de services à la personne. "Je suis très heureuse, c’est un retour dans la vie réelle. On a commencé par une formation, une remise à niveau pour créer une activité, dresser un business plan, maîtriser l’informatique… A 44 ans, c’est un cadeau", s’enthousiasme-t-elle au micro d’Europe 1. Les initiatives zéro chômeur offrent presque une seconde vie aux personnes concernées. "Le fait d’aller au travail, ça oblige à se lever, à sortir, ça donne du pouvoir d’achat, on peut envisager des vacances. On revit", abonde Geneviève Moreau.
" Ça m’a permis de me relancer vers le futur "
Seule concession : le salaire. La plupart du temps, les chômeurs sont employés au Smic. Pour Bénédicte, c’est moins que ce qu’elle touchait au chômage en cumulant les allocations et les aides. "Je préfère le Smic et être en activité. Quand vous restez chez vous sans activité, c’est la dépression qui vous attend", rappelle-t-elle. "Certes, je gagne moins que ce que je touchais en tant que cadre avant. Mais au fond, j’ai passé un an et demi sans la moindre allocation. Donc passer de zéro à 1.100 euros, c’est déjà beaucoup", complète Geneviève.
Un tremplin pour une seconde vie. Surtout, les emplois créés au sein de cette expérimentation ont vocation à être des tremplins, à remettre le pied à l’étrier à des personnes éloignées du monde du travail pour qu’elles puissent ensuite postuler avec de meilleures chances dans des entreprises traditionnelles. "Ça m’a permis de me relancer vers le futur, de faire un bilan de compétences pour pouvoir trouver un autre travail à l’avenir. A terme, je vais partir vers d’autres horizons et retrouver un salaire qui correspond mieux à mon niveau d’études", explique Geneviève.
Bientôt 50 territoires. Ces succès ont permis de donner une légitimité aux porteurs du projet. Laurent Grandguillaume et ses équipes arpentent la France pour présenter le dispositif. En plus des dix territoires originaux, 50 sont officiellement volontaires pour se lancer à leur tour. Jeudi, l’ancien député a fait un crochet par l’Élysée. "Nous avons le soutien de tous les groupes parlementaires pour lancer une 2ème phase. L’objectif est de convaincre le président et de faire en sorte qu’il y ait une loi en ce sens en 2019", avance-t-il. Un déploiement national qui pourrait permettre de créer 2.000 emplois d’ici 2020.