Le chiffre s'étale en gras sur un fond rouge, attire l'œil, et rappelle quelques souvenirs. Plusieurs magasins Leclerc du nord et de l'est de la France promettent un rabais de 80% sur 79.454 pots de Nutella exactement, du mercredi 21 au samedi 24 novembre. En janvier dernier, déjà, une promotion de 70% sur la célèbre pâte à tartiner produite par Ferrero avait déclenché des émeutes dans des Intermarché. Et à l'époque, l'enseigne s'était attiré les foudres de la société italienne, ainsi que celles du gouvernement, qui prévoyait de légiférer pour interdire les prix trop cassés. Reste donc une question : l'offre alléchante de Leclerc est-elle légale ?
A priori, une promotion illégale… Un rabais de 80% sur un pot de Nutella de 975 grammes équivaut à le vendre 0,97 euro, contre 4,85 euros normalement. Ce qui pose déjà deux problèmes : d'abord, celui de la vente à perte, qui est très strictement encadrée en France ; ensuite, celui d'une offre de prix "abusivement bas", ce qui est interdit par le Code du commerce. Comme le rappelle la DGCCRF, "l'offre de prix abusivement bas par rapport aux coûts de production, de transformation et de commercialisation de l'entreprise qui les propose constitue une pratique anticoncurrentielle".
…mais Leclerc tente de contourner la loi. Comment donc Leclerc espère-t-il contourner cette législation ? Tout simplement en ne proposant pas une réduction immédiate du pot de Nutella. En réalité, ce rabais de 80% est réalisé via un bon d'achat de 3,88 euros, crédité en caisse immédiatement après l'achat, et valable jusqu'au 31 décembre prochain. Mais "le fait qu'il s'agisse de remises en bons d'achats ne change rien, il s'agit bien d'un avantage promotionnel", estime Olivier Leroy, avocat spécialisé dans le droit de la concurrence au sein du cabinet CMS Francis Lefebvre, interrogé par BFM TV. "Sauf si le fournisseur a accordé [à Leclerc] un mandat pour le faire et a accepté de financer la différence." Une hypothèse peu probable, puisque Ferrero avait "déploré", en janvier, la promotion mise en œuvre par les magasins Intermarché.
Une loi Alimentation pas entrée en vigueur. Enfin, ce rabais pose une troisième difficulté : il est contraire à la nouvelle loi Alimentation, votée le 2 octobre dernier (et qui n'était donc qu'en préparation au moment des émeutes chez Intermarché). Ce texte prévoit en effet que les promotions sur les denrées alimentaires ne puissent excéder 34% de la valeur totale du produit. Sauf que… l'ordonnance qui doit préciser les modalités de réglementation n'a pas encore été prise. Elle ne sera présentée que le 5 décembre prochain en Conseil des ministres, selon Le Parisien, qui précise que sa mise en application n'interviendra qu'au 1er janvier 2019.
Quid des programmes fidélité ? Cette ordonnance est très attendue, car plusieurs points restent flous. Notamment ce qui va se passer pour les clients des enseignes membres des programmes de fidélité, et qui ont donc droit à des avantages supplémentaires. C'est d'ailleurs le cas ici : le pot de Nutella à -80% chez Leclerc n'est accessible qu'aux détenteurs de la carte du magasin. En attendant d'en savoir plus, les distributeurs se préparent à s'adapter à la nouvelle législation. "Nous respecterons la loi", assurait ainsi Thierry Cotillard, président d'Intermarché, au micro d'Europe 1 il y a quelques jours. "Elle ne nous interdira pas de faire des prix très 'tapés' sur des produits non alimentaires par exemple."