Zone euro : la crise appartient-elle au passé ?

La BCE se dit confiante dans la reprise mais toujours prudente.
La BCE se dit confiante dans la reprise mais toujours prudente. © DANIEL ROLAND/AFP
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La Banque centrale européenne a décidé de diviser par deux son imposant programme d’aide à la zone euro. De quoi affirmer que la crise appartient au passé ? Pas si vite…
ON DÉCRYPTE

Elle était attendue mais cela n’empêche pas la décision de la Banque centrale européenne de réduire l'an prochain l'intensité de son programme anti-crise, de s’inscrire comme un jalon marquant dans l’évolution de l’économie européenne. Jeudi, le président de la BCE, l’Italien Mario Draghi, a annoncé que l’institution monétaire allait diviser par deux le niveau de ses aides à partir de janvier 2018. Une décision justifiée par la "confiance croissante" de la BCE dans les perspectives de croissance de la zone euro. De là à dire que la crise appartient au passé, il n’y a qu’un pas. Mais un grand.

Une politique d’ampleur efficace. Concrètement, la BCE va donc réduire de moitié ses rachats d'actifs (achats de dette publique et privée) lancés en mars 2015 dans le but de soutenir la reprise dans la zone euro, pour en passer le rythme mensuel à 30 milliards d'euros de janvier à septembre prochain, contre 60 milliards actuellement. "C’est une décision d’une ampleur conséquente", estime Charles-Henri Colombier, directeur de la conjoncture à l’Institut Coe-Rexecode.

Si la BCE a décidé de diminuer ses aides maintenant, c’est parce que la conjoncture économique s’améliore dans la zone euro. Les 19 pays membres ont créé "sept millions d'emplois ces quatre dernières années", a souligné Mario Draghi. "On sort de la crise pour entrer dans une période de croissance soutenue. Globalement, la situation est satisfaisante et c’est en grande partie grâce à la politique accommodante de la BCE", abonde Philippe Waechter, chef économiste de Natixis Asset Management.

" La confiance dans la reprise n’est pas totale "

Embellie générale dans la zone euro. Contrairement aux mois et années qui ont précédé, tout le monde bénéficie de cette embellie. "Même les pays qui étaient en retard au début de l’année, à savoir la France, l’Italie et la Grèce, connaissent désormais des trajectoires de croissance et d’emploi dynamiques", précise Charles-Henri Colombier. De plus, des indicateurs qui ont longtemps été dans le rouge, comme la santé de l’industrie et l’investissement des entreprises, ont retrouvé des couleurs et enchaînent les bons mois.

La BCE reste prudente. Tout va bien donc… enfin presque. En effet, la BCE a maintenu le flou sur le terme de ce programme de rachat d’actifs. La division par deux du montant est valable de janvier à septembre 2018, ce qui laisse la porte ouverte à une prolongation voire à une réaugmentation au terme de cette échéance. "On voit bien que la confiance dans la reprise n’est pas totale. La BCE aurait pu imiter la Fed (la Banque centrale américaine, ndlr) qui a mis en place en 2016 un calendrier d’extinction programmée de son propre programme d’aide. Mais elle a opté pour une option plus prudente", analyse encore Charles-Henri Colombier.

Principale raison de cette prudence, le taux d'inflation en zone euro s'établissait à 1,5% en septembre et n'est "toujours pas" conforme à l'objectif de la BCE, soit un niveau inférieur mais proche de 2% à moyen terme. Par conséquent, l’institution basée à Francfort a réaffirmé qu'elle n'engagera de remontée de ses taux d'intérêt, restés à leur plus bas niveau, que "bien après" la fin des rachats d'actifs, dissipant pour l'heure toute spéculation sur ce point. Ce qui fait dire à Philippe Waechter que la BCE est "dans l’ajustement et non dans une politique de rupture".

" C’est comme un cargo lancé à vive allure. Il faut freiner bien avant l’arrivée au port. "

Chômage élevé et risques politiques. D’autres facteurs incitent à rester vigilant quant à un éventuel sursaut de la crise inédite qui a ébranlé la zone euro depuis dix ans. A commencer par le chômage, qui reste relativement élevé, à 9,1%. C’est certes le niveau le plus bas depuis 2009 mais cela reste supérieur au niveau d’avant-crise. Les situations de la Grèce (21,1%), de l’Espagne (17,1%), de l’Italie (11,3%) et, dans une moindre mesure, de la France (9,5%) nécessitent encore d’être surveillées attentivement.

Par ailleurs, les soubresauts politiques qui parcourent l’Europe sont un facteur de risque que la BCE ne veut pas négliger. "L’incertitude en Catalogne et la tenue prochaine d’élections en Italie peuvent avoir des conséquences pour tous les États membres et pas forcément positifs", détaille Charles-Henri Colombier. Mario Draghi a d'ailleurs déclaré suivre "de très près" la crise en Catalogne, même s'il lui semble "prématuré" de "conclure dès maintenant à un potentiel risque de déstabilisation financière" pour la zone euro. Pour pallier tout risque, la BCE estime donc qu'"un degré élevé de stimulation monétaire demeure indispensable".

Comment stopper un cargo en douceur ? L’institution monétaire se montre encore plus prudente en promettant par ailleurs que le programme de rachat d’actifs ne s'arrêterait pas "soudainement". Un choix mesuré et sage, pour Philippe Waechter. "Le soutien massif de la BCE a créé une sorte de dépendance des États et des banques. C’est donc très difficile de couper court d’un coup. Les États-Unis ont mis beaucoup de temps alors que le Japon n’y arrive tout simplement pas", explique l’économiste de Natixis. "C’est comme un cargo lancé à vive allure. Il faut freiner bien avant l’arrivée au port pour ne pas se crasher."

La situation est d’autant plus délicate que la politique mise en œuvre pour la BCE est aussi inédite que la crise qu’elle a contribué à résoudre. "On n’a pas d’expérience pour ce qui doit se passer après. La BCE doit apprendre à gérer les mesures engagées dans la durée", commente Philippe Waechter. D’où une prudence de rigueur : "non, l’épisode de la crise économique n’est pas définitivement clôt".