Jusqu'à la veille de la Révolution, selon que l'on est noble ou roturier, la peine encourue pour un crime n'est pas la même. Un criminel noble mourra dignement en ayant la tête tranchée. Un criminel roturier mourra ignoblement d'une peine infamante: la pendaison ou la roue. La question va se poser en 1720 dans la célèbre affaire du crime de la rue Quincampoix perpétré par un certain Comte de Horn et ses complices.
Dans la France de 1720, les nobles et les roturiers ne sont pas punis de la même manière, même s’ils ont commis le même crime. Le noble est toujours décapité dignement, quand le roturier est pendu ou passé sous le supplice de la roue.
Le comte de Horn, mouton noir de sa famille
En cette année 1720, la question du châtiment se pose avec le comte de Horn, Antoine-Joseph de son prénom. Il est le fils cadet de l’une des plus anciennes et des plus puissantes familles d’Europe. Né à Liège (à l’époque, les Provinces Unies qui deviendront plus tard les Pays-Bas), il est aussi apparenté à Philippe d’Orléans, qui dirige la France en tant que régent à ce moment.
Antoine-Joseph de Horn est le mouton noir de la famille : un vaurien fainéant, indiscipliné, désagréable. Pour se débarrasser de lui, on lui achète un grade de capitaine et on lui donne un régiment d’une centaine d’hommes. Mais cela ne l’intéresse pas, il préfère traîner dans les bordels et les tripots. Au bout d’un moment, ses insolences avec ses supérieurs, ses beuveries et ses tricheries au jeu vont l’emmener devant un tribunal d’honneur, une instance exceptionnelle, qui le déclare indigne de porter l’épée, indéfiniment.
Son malheureux père, qui n’en peut plus d’avoir un vaurien pour fils, paye ses dettes et lui demande de quitter les Provinces Unies. Mais où peut donc aller un tel homme, noceur, tricheur invétéré ? Dans quel royaume a-t-il des connaissances qui pourraient l’aider ? Le royaume de France semble être la destination parfaite pour le comte de Horn.
De son arrivée, nous avons quelques éléments dans le récit de Saint Simon : « Le comte de Horn était à Paris depuis environ deux mois, menant une vie obscure de jeu et de débauche. C’était un homme de vingt-deux ans, grand et fort bien fait ».
Un meurtre en plein jour
Le vendredi saint, 22 mars, il donne rendez-vous dans un cabaret de la rue Quincampoix à un agioteur nommé Leroy, auquel il déclare vouloir acheter 100 000 écus d’actions. Il s’est adjoint les services de deux malfrats, du même acabit que lui, donne rendez-vous à cet agioteur et l’entraîne dans une chambre pour parler affaires en privé. L’homme se voit offrir à boire et on vérifie qu’il est bien en possession des actions.
Soudain, les trois complices se jettent sur lui. Le comte de Horn le ceinture tandis que les complices poignardent le pauvre homme. Attirées par le bruit, plusieurs personnes arrivent et les meurtriers prennent leurs jambes à leur cou. Le comte de Horn tente de s’enfuir par la fenêtre mais est attrapé avec l’un de ses complices, le troisième ayant réussi à s’échapper.
C’est toute l’horreur de cette affaire du comte de Horn : un crime crapuleux commis en plein jour au beau milieu du quartier d’affaires, comme on l’appellerait de nos jours. A l’époque, la rue Quincampoix est l’axe d’échange de tous les bons du désastreux système financier de Law, l’argent y coule à flots.
Le scandale est immense : on n’assassine pas un homme pour de l’argent, un vendredi saint, c’est sordide. Pour un tel crime, la justice prévoit le supplice de la roue. Au sein de la noblesse, on ne voit aucun problème à ce que cette peine soit infligée au complice mais il est inconcevable qu’un condamné apparenté aux plus grandes familles européennes soit exécuté comme un vulgaire homme du peuple.
Une condamnation inflexible
Chez les nobles, on s’agite, on se mobilise, on pétitionne et on va même jusqu’à se rendre en délégation chez les juges. C’est un très étrange spectacle que de voir la fine fleur de la noblesse s’agiter pour décrocher la décapitation de l’un des siens, plutôt que la roue.
Le marquis de Créquy, qui est apparenté au criminel, prend la tête de cette croisade et plaide la folie. Madame de Créquy dénonce une sentence atroce et exécrable. Rien n’y fait, le Régent demeure intraitable. Lorsque Monsieur de Créquy lui fait valoir que le déshonneur retombera aussi sur lui, puisqu’il est du même sang que le criminel, le Régent aurait eu cette réponse cinglante : « Quand j’ai du mauvais sang, je me le fais tirer ».
Le 26 mars 1720, moins d’une semaine après le meurtre, le comte de Horn et son complice sont roués vifs sur la place de Grève, non pas à la baguette, mais avec une barre de fer.
Soixante-dix ans plus tard, sous la Révolution française, l’égalité des peines sera l’une des premières revendications populaires. Elle sera votée le 1er décembre 1789 à l’Assemblée. Depuis cette date, que l’on soit riche ou pauvre, noble ou roturier, un même crime vaut une même peine.