Marc Messier brosse ce dimanche le portrait de Marie-Thérèse Walter, muse de Pablo Picasso.
Une vierge dévorée par le Minotaure. Voilà comment on pourrait résumer, en quelques mots, le destin de Marie-Thérèse Walter, l’une des muses de Pablo Picasso et l’une de ses victimes.Une passion amoureuse. Une vie sacrifiée sur le chevalet du peintre.
Un coup de foudre au coin d’une rue, un jour d’hiver 1927. La rencontre impromptue d’un Génie et d’une Ingénue, au pied des Galeries Lafayette. Elle s’appelle Marie-Thérèse, elle a 17 ans, sa mère est modiste et travaille dans le quartier. Lui est déjà un peintre très célèbre et très riche. Les collectionneurs se disputent ses demoiselles d'Avignon, ses Baigneuses et Ses Flutes de Pan. Ses banquiers se félicitent de son talent. Picasso a 46 ans, une femme, Olga, une danseuse des ballets russes de Diaghilev et un petit garçon, Paulo, l'ainé des 4 enfants du Maitre Andalou.
Pablo a quitté depuis longtemps Montmartre, le Bateau-Lavoir et la vie de Bohême. Il habite depuis la fin de la première guerre mondiale derrière les Champs Elysées. Un duplex très chic au 23 de la rue de la Boétie. Il a un coffre-fort, une gouvernante et une Hispano-Suiza, conduite par Marcel, son chauffeur en livrée, qui l'accompagne dans tous ses déplacements. Sauf ce jour-là. Pourquoi ? On ne saura jamais. Mais ce 8 janvier 1927, Picasso est à pied. Il marche tout seul, Boulevard Haussmann. Il a pris ses distances avec les surréalistes et s'ennuie à mourir dans son couple. Le nez en l'air devant les galeries Lafayette. Le nez à nez avec Marie Thérèse. Ils ne se sont jamais vus. La cristallisation sur un trottoir.
Elle est belle, blonde comme les blés de Van Gogh, athlétique comme ces jeunes créatures sculpturales que Picasso a imaginé avec ses pinceaux quelques années plus tôt. Son corsage est prometteur et son nez, une source d'inspiration immédiate pour le peintre. Le Maitre tombe à genoux. Marie-Thérèse tombe des nues. Elle racontera, plus tard, que cet homme, dont elle n'avait jamais entendu parler, l'accosta avec un grand sourire, lui disant simplement : ' « Mademoiselle, vous avez un visage intéressant, j'aimerais faire un portrait de vous » Marie-Thérèse est alors une gamine, qui ne connait rien à l'Art et rien des Hommes, une pucelle naïve et inculte qui va rapidement succomber au magnétisme Picassien. Subjuguée. Amoureuse. En quelques semaines elle sa devient sa maitresse. Pablo est totalement fou, complètement Loco, de cette très jeune femme qui le fait renaître, une amante qu’il va secrètement installer dans un appartement, à quelques dizaines de mètres de chez lui.
Le début d'une longue liaison clandestine. Une histoire d'amour cachée, pleine de baise et de peinture. Picasso qui s'était endormi artistiquement se réveille. Ses couleurs explosent, jaillissent. Il compose une nouvelle écriture picturale. Marie-Thérèse le fascine. Il l'a peint et la repeint sous des angles qu'il invente au fil de leurs étreintes. Il la transfigure. La métamorphose. Ses seins, sa bouche, son cul. Et son nez. Le nez de Marie-Thérèse. Ce nez aquilin, qu’il sexualise. Cette fameuse érection que Picasso imposera dans l'Histoire de l'Art Moderne.
Une double vie qui durera plusieurs années, sans qu'Olga, la femme de Picasso ne se doute de quoi que ce soit. Jusqu'au jour ou Marie-Thérèse tombe enceinte. La naissance d'une petite fille. En 1935, Maria de la Conceptione. On l’a connaitra plus tard, sous le prénom de Maya. Picasso veut divorcer, mais il ne peut pas. Olga s'y oppose et Franco qui vient de prendre le pouvoir à Madrid a interdit le divorce. Marie-Thérèse restera toujours la maîtresse. Une place à part. Entre Olga et Dora Mar, la muse suivante. La photographe qui chassera Marie-Thérèse, en entrant dans la vie de Picasso. La fin de la seconde guerre mondiale marquera la rupture définitive entre Pablo et Marie-Thérèse, restée un temps dans l’ombre de Dora. La jeune inconnue des Galeries Lafayette mourra le 20 octobre 1977. Elle se passera une corde autour du cou dans son garage. Un suicide 4 ans après le décès de Pablo, son grand amour, le seul homme de sa vie. Marie Thérèse piégée dans la toile du peintre. Croquée à jamais par le Minotaure.