Chaque samedi et chaque dimanche, Marc Messier vous raconte son histoire du jour. Ce samedi, l'histoire des poilus.
Une tranchée rebouchée depuis longtemps. Des millions d’histoires ensevelies. C’était il y a un siècle, autant dire une éternité en temps internet. La Mémoire de la terre, moins fugace que celle des hommes. Les traces des fantômes sur le sol gelé. L’Histoire des poilus disparus. Des hommes partis à la guerre pour sauver leurs familles et leur Patrie. La conviction profonde d’une époque où l’on était prêt à mourir pour la France. Une réalité historique et sociologique, devenue au fil du temps, aussi incroyable et absurde que dérangeante.
Ils s’appelaient Léon, Joseph, Marcel, Charles, Auguste, Emile ou Lucien. Des anonymes partis, un jour de 14, la fleur au bout du fusil, leur sacrifice en bandoulière. Des millions d’hommes qui n’imaginaient pas, ce jour-là, qu’ils allaient vivre les années les plus effrayantes et les plus sanglantes de notre roman national. D’eux, il ne reste, aujourd’hui, que des cimetières, des reliques, des lettres et leurs prénoms redevenus à la mode. On les appelait les Poilus.
Les poilus, comme on dirait aujourd’hui les couillus, les poilus, un mot d’argot du 19ème siècle, les descendants des grognards Napoléoniens, ces soldats des faubourgs, qui n’avaient peur de rien, l’expression "vrais mecs" n’existant pas encore, on parlait des poilus pour désigner les vrais hommes, les braves, les courageux, les hommes virils qui avaient du poil au bon endroit.
Les Poilus, sans rapport avec leur système pileux qu’ils n’auraient pas eu le temps ni les moyens d’entretenir dans les tranchées. Une vieille connerie populaire battue en brèche par l’utilisation des 1ers véritables masques à casques, en 1915. La barbe étant, alors, outre qu’elle proscrite par le règlement militaire, inconcevable, si on voulait pouvoir enfiler un masque et rester vivant. Des masques qui, en dehors de l’Ypérite, l’horrible gaz moutarde allemand, ne protégèrent jamais les poilus de toutes les autres saloperies de cette guerre qu’ils espéraient être "La Der des Der". Des millions d’enterrés vivants pataugeant, dans le sang, la merde, la puanteur. Les balles précises de l’ennemi, ses pluies d’obus assourdissantes, les jaillissements de ses lance-flammes. Les blessures, la gangrène, les amputations, les fièvres, les délires, les rats affamés bouffant les cadavres et s’attaquant aux vivants.
Partout, des trous, des barbelés, des membres arrachés, des morceaux de gueules, des tonnes de viscères. 800km de lignes de Front, de Mort, de Peur et de froid. La gnole, pour s’abrutir, la camaraderie pour tenir, l’espoir des Poilus, de retrouver, un jour, leur vie d’avant. Le feu, la folie. Les zigzags des 1ères ambulances. Des images surréalistes. Louis Jouvet, L’acteur, infirmier volontaire, récitant des vers aux mourants dans les tranchées. Marie Curie, avec son chauffeur, expérimentant la radiologie sous les bombes. La découvreuse du Radium, dont les 1ères machines sauveront plus d’un million de poilus criblés d’éclats.
Des créatures étranges, difformes, défigurées, trépanées avec souvent des trous dans les têtes ou les torses, à travers lesquels on pouvait passer une ou 2 mains. Des hommes sauvés par la médecine mais devenus des monstres, des gueules cassées qui effraieront des générations d’enfants, après la guerre. Une médecine transfigurée par 4 années d’horreurs. On met au point les 1ères transfusions sanguines efficaces, les 1ères greffes, des vraies prothèses pour les manchots, des fauteuils pour les culs de jatte. On rafistole, on répare mieux que jamais. Les corps et les visages, ou ce qu’il en reste. L’œuvre d’une femme en particulier, une française Suzanne Noel, la pionnière de la chirurgie réparatrice.
Des miracles, pour l’époque, qui ne ressusciteront pas les morts au champ d’honneur. Des paysans, des artisans, des fonctionnaires, des artistes et des écrivains. Péguy, Fournier. L’enfer des Poilus. Le même pour tous ceux qui ont brûlé dedans. Il a forgé de Gaulle, rendu définitivement taré Hitler. Braque et Léger l’ont peint. Apollinaire l’a rendu poétique. Cendrars l’a transcendé. L’Histoire des Poilus. Notre Histoire commune. Ne surtout pas oublier, pour pouvoir continuer à imaginer.