Certains les considèrent comme des intermédiaires inutiles et obsédés par l’argent. Pour d’autres, ils permettraient aux auteurs de me mieux se concentrer sur leur travail de création. Les agents littéraires font polémique. En réalité il n’y a qu’en France qu’ils divisent les avis. Dans les autres pays, ces agents sont bien acceptés par l’ensemble des métiers de l’édition. En Espagne ou aux Etats-Unis, pas la peine pour un auteur de s’adresser directement à un éditeur. La règle serait d’abord de dénicher un bon agent. Alors quel rôle joue ce professionnel multi-casquettes ? Pourquoi est-il si critiqué en France ?
"Le métier d’agent, c’est un métier de super technicien", estime Pierre Astier, l’un des agents littéraires les plus établis en France. "Nous connaissons l’ensemble de la chaîne du livre". Avant d’ouvrir son agence en 2006, il a d’abord été éditeur, et a fondé le Serpent à plumes en 1993. La majorité des agents a déjà travaillé dans l’édition, ou au sein d’une agence à l’international. En France on ne compte qu’une vingtaine d’agents littéraires, dont une majorité de micro-structures. Certaines possèdent une quinzaine d’auteurs dans leur catalogue. Le métier serait en train de s’étendre. Pourtant l’Hexagone est souvent passé pour le "pays aux deux agents", avec les références François Samuelson et Susanna Lea. Ces derniers ont fondé leur agence respectivement dans les années 80 et en 2000. Ils travaillent aujourd’hui avec des auteurs reconnus comme Michel Houellebecq, Emmanuel Carrère ou Fred Vargas pour François Samuelson, et le poids-lourd Marc Levy pour Susanna Lea.
Gérer les questions d’argent
Mais à quoi sert cet agent si décrié ? Ce professionnel multifonction est présent dès la découverte d’un roman : il reçoit et sélectionne les manuscrits. Certains retravaillent le texte avant de les envoyer aux éditeurs. Ensuite et c’est sa principale raison d’être, il négocie les contrats, et assure un suivi juridique et financier. Son rôle principal consiste à servir d’intermédiaire entre l’auteur et l’éditeur. Avec un objectif : que l’auteur n’ait pas à se préoccuper de questions d’argent.
"J’avais de très bons rapports avec mon éditeur, explique Pierre Assouline, qui a été l’un des premiers auteurs français à travailler avec un agent, dès les années 80. "Mais je ne me sentais plus de taille pour négocier avec lui. Il était gênant de parler d’argent." Beaucoup d’auteurs préfèrent ainsi mettre de côté leurs calculatrices et laissent les agents plonger la tête dans les comptes.
Ceux-ci touchent une rémunération à partir du contrat négocié. Cette dernière s’élève généralement à 15% du contrat pour les auteurs publiés en France, et à 20% pour la publication d’un auteur français à l’étranger. Les agents tentent d’assurer à l’auteur la meilleure rémunération, même si certains déclarent vouloir rester raisonnable. En France ils viennent bousculer les règles qui jusque là liaient un éditeur et un auteur. Dans un contrat classique ce dernier ne percevrait "que" 50% des bénéfices dégagés par les ventes. Lorsqu'un agent intervient, ce bénéfice peut atteindre beaucoup plus. La survenue des agents agace les éditeurs, qui perdraient ainsi l'exclusivité des discussions avec l'auteur.
Un travail de recherche "nul"
Entre les éditeurs et les agents, la tension viendrait surtout d’une proximité des métiers. "Un agent fait un travail d’éditeur", affirme Anna Jarota, agent littéraire formée à Londres. Les éditeurs n’apprécieraient pas la création d’un maillon supplémentaire dans la chaîne. "Les éditeurs jugent peut-être que l’agent n’est pas nécessaire pour eux, mais il l’est pour l’auteur", estime Virginie Lopez-Ballesteros, agent pour des auteurs de langue française et espagnole, implantée à Madrid.
Historiquement en France les rapports entre un éditeur et un auteur sont proches, presque amicaux. Mais certains auteurs auraient parfois eu le sentiment de se faire flouer. "Il est très fréquent que des auteurs aient l’impression de se faire arnaquer", selon Pierre Astier. "Il y a une première phase d’excitation à la signature du contrat. Puis un an plus tard c’est l’incompréhension, souvent par déficit d’informations."
Les éditeurs critiquent en général l’opportunisme des agents littéraires. "Le travail de recherche des nouveaux agents est nul", estime le Syndicat national de l’édition (SNE) dans une note publiée fin 2007. "Leur intérêt porte essentiellement sur ceux de nos écrivains dont les livres se vendent". Les agents chercheraient avant tout à publier des auteurs déjà connus, et dont les récits pourraient plaire à un large public. D’où une certaine "bestsellerisation". Dans les salons littéraires étrangers, les agents rencontreraient des auteurs lors d’entretiens express. Ces derniers auraient alors quelques minutes pour expliquer en deux mots en quoi leur œuvre est vendeuse. En utilisant surtout des arguments commerciaux. Cependant les agents affirment faire un vrai travail de recherche de talents. Dans les faits ils reçoivent de nombreux manuscrits, mais en général après que les éditeurs les aient refusé. A eux de tenter de débusquer la pépite qui aurait échappé aux lecteurs des maisons d’édition.
Paradoxe à la française
Autre reproche souvent adressé, la dérive de l’argent roi. L’agent chercherait à faire monter les tarifs des contrats, quitte à être préjudiciable aux éditeurs. Dans le viseur, certains agents anglo-saxons comme Andrew Wylie, responsable du transfert de Christine Angot de Flammarion au Seuil, avec une avance de 220.000 euros, selon Le Figaro. Ou encore François Samuelson, qui a fait passer Michel Houellebecq de Flammarion à Fayard pour un million d’euros, selon certaines sources. Mais un grand nombre de "petits" agents s’offusquent de ces sommes disproportionnées. Certains soulèvent le risque pour un éditeur de ne pas rentrer dans ses frais. Et de laisser tomber l’auteur en disgrâce.
Mais en réalité, les éditeurs français travaillent de plus en plus avec les agents. Même ceux jusque là opposés à toute collaboration ont changé leur politique. Emblème de cette évolution, le best-seller de Jonathan Littell, Les bienveillantes, s’est négocié via un agent. Le britannique Andrew Nurnberg a envoyé le roman à quatre maisons, dont la traditionnelle Gallimard, qui s’est décidé la première pour l’éditer.
Reste le paradoxe de l’édition française : les romans étrangers. Dans ce cas les éditeurs acceptent de collaborer avec des agents sans se poser de questions. Presque l’intégralité des auteurs étrangers provient d’agents. Dans ces cas les agents littéraires français travaillent en association avec des agents ou des éditeurs étrangers. Ce rôle dit de co-agent représente 90% de l’activité de l’agence d’Anna Jarota par exemple. Il consiste aussi à vendre à l’étranger les droits d’un livre français. Dans ce cas les agents agissent plus facilement : leur métier est beaucoup plus établi hors de l’Hexagone. A l’inverse en France ils restent relativement marginaux. Au détriment des écrivains ? En France, Jonathan Littell soulignait que tous les métiers de l’édition vivent du livre, sauf… l’écrivain lui même.