0,05% : c’est le pourcentage des manuscrits envoyés aux grandes maisons d’éditions qui finissent publiés. Un contexte difficile qui encourage de nombreux apprentis auteurs à tester des moyens alternatifs pour faire connaître leur œuvre. La plupart considèrent l’édition traditionnelle comme inaccessible. Et ils souhaitent avant tout que leur manuscrit soit lu. Avec comme principaux outils la publication à compte d’auteur, souvent coûteuse, l’auto-édition ou encore la publication sur Internet.
Cette dernière connaît une grande dynamique grâce à des sites qui innovent. Le best-seller Cinquante nuances de Grey, qui a popularisé le genre de l’érotisme pour mère de famille, vendu à plus de 510.000 exemplaires en France (chiffres de fin janvier) a débuté sur le web. Son auteure E.L. James a d’abord publié ce texte sur son blog, puis sur une plate-forme de romans en ligne, "The writer’s coffee shop".
Elle permet à des auteurs de proposer leurs textes - plus ou moins aboutis - sur le web, et de toucher ainsi un grand nombre de lecteurs. Les écrivains qui choisissent cette voie font une croix sur une rémunération. Ce qui permet aux lecteurs de découvrir ces œuvres gratuitement. C’est un peu le principe du site monBestseller.com, lancé en fin 2012. Les auteurs peuvent publier leurs textes en ligne, ces derniers sont ensuite classés par catégorie : roman, témoignage, poésie, etc. Les lecteurs peuvent les consulter en s’inscrivant gratuitement et commenter les ouvrages.
‘Vous allez recevoir des nullités’
« Il y a 500.000 à trois millions d’auteurs par an écarté par les maisons d’éditions », estime l’un des deux fondateurs du site Christophe Lucius. « Il y a toute une matière, une énergie créatrice en inertie. Seuls 1% des auteurs sont édités, et personne ne s’occupe des 99% autres. » Aujourd’hui cet ex-publicitaire de 54 ans a reçu pour son site plus de 115 manuscrits, et compte quelque 1.000 lecteurs inscrits.
Soyons honnête, les textes publiés sont dans l’ensemble moins aboutis que la moyenne des romans édités par de grandes maisons. La syntaxe est parfois erratique, tout comme l’orthographe. Ce qui n’empêche pas les lecteurs d’écrire de nombreux commentaires positifs. Et Christophe Lucius de se déclarer satisfait de la qualité moyenne : « Avant de lancer le site, nous avons rencontré des éditeurs qui nous avaient prédit : ‘Vous allez recevoir des nullités’. Ce n’est franchement pas le cas. »
Il cherche à fonder son modèle économique sur le principe d’une régie publicitaire, en vendant aux auteurs la garantie d’un certain nombre de lecteurs. Et si les écrivains ne souhaitent pas améliorer la visibilité de leur texte sur le site, ils peuvent tout de même le publier sans frais. Dans un style comparable, le site des Nouveaux auteurs permet également aux auteurs en herbe de faire connaître leur œuvre en ligne. Et de se soumettre aux avis des lecteurs du web.
Joelle Bernard, qui a publié son roman Ne ferme jamais la porte sur ces deux sites y a vu l’occasion de réaliser son objectif : être lue. Elle est l’une des auteurs les plus populaires sur le premier, et le site des Nouveaux auteurs s’apprête même à la publier en version papier. Ce qui ne la rassure pas complètement : « C’est bien beau de paraître dans les librairies mais est-ce que je vais être lue ? »
Compte d’auteur et naïveté
Autre méthode pour faire connaître ses écrits, l’édition à compte d’auteur se révèle parfois être un jeu de dupes. L’auteur n’est pas toujours averti très clairement qu’il va devoir payer pour que la maison d’édition se charge de publier son livre. Mickael Paitel, un contributeur de monBestseller.com, a été contacté par plusieurs maisons. « Un peu naïf, j’ignorais qu’elles étaient à compte d’auteurs. » Des sociétés comme Edilivre ou Amalthée ont su « flatter son ego » et lui faire miroiter une publication pour laquelle il aurait payé tous les frais, soit 2.000 euros. Ces types de maison proposent des services qui ne seraient pas toujours très clairs, selon une enquête du magazine Que choisir publiée en juillet 2011. Malgré les sommes demandées, l’auteur devrait parfois participer à certaines étapes de la fabrication. Comme corriger son manuscrit, ou solliciter lui-même les libraires.
Enfin, l’auto-édition séduit de plus en plus d’écrivains. C’est pour eux la possibilité d’éditer leur œuvre en version numérique par leurs propres moyens. A la différence de la publication à compte d’auteur, l’écrivain gère toutes les étapes de publication par lui-même. Ce marché connaît un véritable boom aux Etats-Unis. Dès 2009 l’autoédition y aurait dépassé le marché de l’édition traditionnelle en nombre de livres publiés. En France cette pratique fait de plus en plus d’adeptes. Parmi les dix meilleures ventes d’Amazon.fr entre octobre et février dernier, trois livres seraient autoédités. Une manne financière qui intéresse un grand nombre d’éditeurs numériques, de plus en plus nombreux sur le marché.
Les refus des auteurs reconnus
S’ils se tournent vers d’autres moyens de publication, c’est souvent que les auteurs ont tapé sans succès aux portes des grandes maisons d’édition. Or les écrivains éconduits ont existé de tout temps et même parmi les plus talentueux. Louis-Ferdinand Céline et Marcel Proust eux-mêmes ont été recalés à l’envoi de leurs premiers manuscrits. Ce dernier a même publié Du côté de chez Swann à compte d’auteur dans un premier temps.
Plus tard, certains auteurs aujourd’hui reconnus ont passé des années à essuyer les plâtres. C’est le cas notamment de Jean-Phlippe Blondel, qui nous avait déclaré être le « champion du monde des lettres de refus » (voir interview). Ou de Frédérique Deghelt qui nous a indiqué que personne ne voulait de son premier roman. Elle a attendu quatre ans avant de trouver un éditeur. Aujourd’hui elle fait partie du jury de professionnels du Prix Relay des voyageurs. Jean-Philippe Blondel quant à lui a été plébiscité par le premier jury grand public. Des refus qui mènent à tout, même au succès.