François Hollande va-t-il gracier Jacqueline Sauvage ? C'est l'espoir de ses filles et ses avocates, que le président reçoit vendredi à l'Élysée. Trois requêtes ont été formulées pour demander la grâce présidentielle pour cette femme de 68 ans, battue pendant 40 ans et condamnée à 10 ans de réclusion pour le meurtre de son mari violent. La mobilisation en faveur de Jacqueline Sauvage est forte, mais la question est délicate, notamment car la prévenue, jugée à deux reprises, a écopé de la même peine.
Les faits ? Pendant 47 ans, régulièrement battue par son mari, Jacqueline Sauvage avait vécu un enfer. Elle a fini par abattre son conjoint violent et incestueux de trois balles dans le dos, un soir d’été 2012. Jacqueline Sauvage, condamnée à dix ans de prison en première instance, a vu sa peine confirmée le 3 décembre, par la cour d'appel de Blois. Depuis, de nombreuses voix s'élèvent pour réclamer sa grâce. Une pétition en ligne recueille près de 390.000 soutiens. Et des personnalités politiques d’envergure nationale, allant d’Anne Hidalgo à Valérie Pécresse, en passant par Jean-Luc Mélenchon, se sont rangées au côté de la sexagénaire.
Les démarches.Trois requêtes de grâce présidentielle ont également été formulées. L’une, déposée par Maud Olivier, députée PS de l’Essonne, est en cours d’instruction à la Chancellerie. Une autre, à l’origine de la députée LR Valérie Boyer, et signée par trente parlementaires, a été envoyée au président de la République. La troisième, formulée par les familles à la fin du mois de décembre, est arrivée sur le bureau du président.
Les suites. Mardi, l'Élysée avait fait savoir que François Hollande avait "bien entendu la mobilisation" pour obtenir la grâce présidentielle de cette mère de famille, ajoutant toutefois qu'il fallait suivre la procédure. "Le président de la République les reçoit pour les écouter sans que l'on puisse dire, à ce stade, quand la décision sera effectivement prise", a fait savoir son entourage, sur la possibilité d'une décision dès vendredi.
La procédure de grâce, comment ça marche ? Droit régalien des anciens rois de France, la grâce présidentielle, qui doit être contresignée par le garde des Sceaux, s'apparente à une suppression ou à une réduction de la peine. La condamnation reste inscrite au casier judiciaire et diffère ainsi de l'amnistie. Les demandes de grâce obéissent à des procédures longues et complexes. C’est donc d’abord la direction des affaires criminelles et des grâces, rattaché à la Chancellerie, qui donne un avis avant que le président ne tranche.
Hollande y est-il favorable ? L'entourage du chef de l'État a bien pris soin de rappeler que des "circonstances exceptionnelles" étaient nécessaires pour justifier une grâce présidentielle. Par principe, François Hollande n'est pas favorable à la grâce présidentielle, qu'il n'a exercée "qu'une fois en permettant une libération conditionnelle sans éteindre la peine". Il s'agissait du plus ancien détenu de France, Philippe El Shennawy, libéré en janvier 2014, après 38 ans de prison. Pendant la campagne de 2012, François Hollande avait pris ses distances avec le principe même de la grâce présidentielle, estimant qu'il rappelait "quand même une autre conception du pouvoir".
Qu’en disent les spécialistes du droit ? Pour les juristes, l’argument de la légitime défense, défendu par les soutiens de Jacqueline Sauvage, ne tient pas. En droit français, la légitime défense, qui suppose la proportionnalité de la riposte et la concomitance de l’acte et de l’agression, ne peut pas être retenue ici. Ainsi, le point de droit sur l’absence de légitime défense ne pouvant être contesté au moyen d’un pourvoi en cassation, seule la grâce présidentielle, prévue par l’article 17 de la Constitution, pourrait réduire ou mettre fin à la peine. Un recours inapproprié selon les magistrats.
"Là, si nous sommes dans une condamnation à dix années d’emprisonnement c’est forcément qu’il y avait des éléments tangibles qui allaient vers une condamnation lourde. Je ne comprendrais par une grâce présidentielle. Que la famille le demande, c’est un fait, mais qu’elle soit accordée, ça pourrait être vécu comme une remise en cause des décisions de justice, rendues en plus par un jury populaire. La loi ne permet pas de faire justice soi-même. C’est la justice qui doit rendre une décision. La vengeance n’est pas une explication acceptable", estime Virginie Duval, présidente de l'Union syndicale des magistrats (USM), joint par Europe 1.