A 33 ans, Claas Relotius avait déjà remporté de nombreux titres journalistiques et était reconnu dans la profession. Le 3 décembre dernier, il avait même obtenu le Graal : le Prix du meilleur reportage de l’année pour un article sur la guerre en Syrie paru en juin dans le Spiegel. Et pourtant, quelle ne fût pas la stupeur du milieu journalistique allemand quand il a appris, mercredi soir, que ce journaliste avait inventé une grande partie de ses reportages.
Un système bien rôdé. C'est le journal Der Spiegel lui-même, employeur de Claas Relotius depuis 2011, qui a annoncé cette affaire sur son site : "toutes les sources" du reportage pour lequel Claas Relotius a été primé début décembre sont "douteuses", explique Ullrich Fichtner, journaliste pour Der Spiegel. Confronté aux accusations d'un collègue, le principal intéressé a admis avoir inventé des citations et des scènes auxquelles il n'a en fait jamais assisté. Il se servait notamment de vidéos piochées sur Youtube ou Facebook pour décrire des lieux. Et ce n'est pas la première fois que cela arrive : "beaucoup de choses sont purement imaginées, inventées, mensongères. Citations, lieux, scènes, personnages soi-disant de chair et de sang."
caricature sur le scandale qui frappe @DerSPIEGEL après les révélations sur un journaliste connu du magazine qui avait falsifié des reportages. Spiegel signifie en allemand miroir. https://t.co/WTt5CV6tkr
— Pascal Thibaut (@pthibaut) 19 décembre 2018
Des reportages bidonnés. Depuis l'annonce de ce scandale, les langues se délient. En février 2017, Claas Relotius s'était rendu à Fergus Falls, une petite bourgade américaine au beau milieu du Minnesota. Il y était resté un mois, à vivre au rythme de cette ville qui a voté en masse pour Donald Trump, essayant de comprendre les soutiens de ce président dans ce petit village sans problème. Presque deux ans plus tard, les habitants ne digèrent toujours pas le traitement médiatique qu'en a fait le journaliste allemand. Michele, une habitante, témoigne mercredi pour le site américain Medium de sa stupéfaction en découvrant l'article du journaliste du Spiegel : "Sachant qu'il restait un mois à Fergus Falls, je me suis dit qu'il allait bien comprendre que nous sommes des personnes qui adorons discuter des enjeux locaux et nationaux, que certes, nous habitons dans la campagne mais nous avons des expériences du monde et surtout, des perspectives !" Pourtant, après plusieurs semaines auprès des habitants, le journaliste allemand était rentré à Hambourg et avait publié un article avec comme sous-titre : "Fergus Falls, un village où ils prient pour Donald Trump tous les dimanches".
Double-page consacrée à la petite ville de Fergus Falls avec le sous-titre "un mois chez des gens qui prient le dimanche pour Donald Trump". Capture d'écran
"C'était au-delà de ce que j'aurais pu imaginer", s'indigne aujourd'hui Michele. "Page après page, on lisait des insultes envers nous et notre ville." Avec son mari, ils ont rassemblé les onze "meilleures fake news" de l'article. Un travail de fact-checking de longue haleine qu'ils faisaient le soir, après être rentrés du travail. "Il nous a taxés d'être obsédés par les pistolets, par les armes en général, et a affirmé que nous, à Fergus Falls, allions toujours voir le film de guerre "American Sniper", sorti un an et demi plus tôt. Alors que le film n'a pas été projeté depuis sa sortie en 2015 au cinéma." Il avait même inventé une pancarte hostile aux Mexicains à l'entrée de la ville et raconté à tort que les écoliers dessinaient spontanément le nouveau président, "de quoi, renforcer les préjugés sur les électeurs de Trump" se lamente Michele.
Une démission à la clé. Ce scandale a poussé le principal intéressé à démissionner sur le champ, mercredi soir. Pour expliquer ses mensonges à répétition, Claas Relotius a clamé "être malade", et avoir "peur de l'échec". Depuis qu'il a commencé à gagner des prix, il ne "s'autorisait plus à échouer", "la pression grandissait au fur et à mesure" de son succès. Des explications que les rédacteurs en chef du Spiegel entendent mais condamnent aussi fermement.
Au total, au moins 14 reportages auraient été bidonnés. L'hebdomadaire va mener une enquête interne pour comprendre comment ces mensonges ont pu être relayés ces dernières années. Ils appellent dorénavant à plus de vérification avant la publication des articles et à une vigilance accrue dans toutes les rédactions à travers le monde.