La colère est subitement et violemment montée, mardi soir, dans plusieurs quartiers nantais. En cause : la mort d'un jeune homme de 22 ans, tué d'une balle dans le cou par un policier, après que l'homme a refusé d'obtempérer lors d'un contrôle. Des dizaines de jeunes, ulcérés par les circonstances du drame, ont protesté en jetant des cocktails sur les forces de l'ordre et en incendiant plusieurs commerces et bâtiments administratifs.
Au lendemain de cette nuit de grande tension, les habitants des quartiers nantais concernés par les émeutes voient rouge, et remettent en cause la version des policiers. Une enquête a été ouverte, conduite par le SRPJ de Nantes et l'Inspection générale de la police nationale, pour établir avec précision si le CRS a fait usage de son arme de service à raison. Dans l'attente de ses conclusions, deux versions s'opposent toujours mercredi.
La version des forces de l'ordre
Les faits se sont déroulés à 20h30, mardi soir, dans la rue des Plantes, située dans le quartier du Breil, à Nantes. Là, selon la Direction départementale de la Sécurité publique (DDSP), des CRS procèdent à un contrôle sur un véhicule "suite à des infractions commises".
L'identité de l'automobiliste n'étant "pas claire, les CRS ont reçu pour ordre de ramener le conducteur" au commissariat. Ce jeune homme, habitant la région parisienne mais ayant de la famille à Nantes, aurait alors refusé d'obtempérer. Il aurait fait marche arrière et légèrement heurté un CRS au niveau du genou. En réaction, l'un de ses collègues aurait alors sorti son arme et tiré. "Un de ses collègues a fait feu et a touché le jeune homme qui est malheureusement décédé", a indiqué la DDSP.
Selon des sources policières, le jeune aurait été touché à la carotide et serait mort à son arrivée à l'hôpital. La version communiquée par la Direction départementale de la Sécurité publique entre en confrontation directe avec celle des témoins et habitants.
La version des témoins
Si tous les témoins attestent qu'il y a bien eu un contrôle de police sur le véhicule du jeune homme, que ce dernier a effectivement refusé d'obtempérer et entamé une marche arrière, ils réfutent l'idée selon laquelle il aurait pu présenter une quelconque menace pour les forces de l'ordre.
Le jeune homme de 22 ans "a juste voulu échapper au contrôle, et le policier a tiré sans aucune raison. Il n'y avait pas de menace. Il a juste fait marche arrière, mais il n'y avait pas de flic derrière la voiture. J'y étais, j'ai vu", assure Kamel, un habitant du quartier interrogé par le correspondant d'Europe 1 sur place. Ahmed*, lui, a filmé la scène. Les CRS "étaient en train de contrôler le jeune homme, ils voulaient le ramener avec eux. Il a reculé, simplement ! Au même moment, ils ont tiré sur lui au niveau de la gorge", raconte-t-il, encore sous le choc.
Cette version des faits recueillie par notre reporter est attestée par un autre témoignage, enregistré et posté sur Twitter par une journaliste sur place. "Il essayait juste de faire une marche arrière. Ils l'ont tamponné contre le mur. (…) Il n'y avait pas de CRS blessé. [Le jeune homme] était déjà immobile, il ne pouvait rien faire d'autre. Le policier est arrivé, il lui a tiré dessus à bout portant", affirme ce témoin.
Un jeune homme, témoin du drame du #Breil, donne sa version des faits. Lui assure que le CRS n’a pas été blessé #Nantespic.twitter.com/576SfZfQ39
— Marion Lopez (@MarionLpz) 3 juillet 2018
Pour ces habitants, d'autres solutions auraient pu être envisagées pour empêcher la fuite du jeune homme. "Ce sont des professionnels, ils auraient pu le taser. On le tase, on tire sur les pneus, on utilise tous les moyens pour ne pas le tuer, pour éviter ça ! C'est une bavure, ils sont responsables ! C'est à eux de nous protéger et ils tuent nos enfants", éructe Ahmed.
Les habitants déplorent en outre la lenteur des forces de l'ordre à appeler les secours. Ahmed est d'ailleurs persuadé que le jeune homme aurait pu être sauvé si le Samu ou les pompiers étaient arrivés plus tôt. Même constat pour l'homme interrogé par la journaliste nantaise. Il assure être même personnellement intervenu pour prodiguer au jeune homme les gestes de premiers secours. "Les CRS n'ont même pas cherché à l'assister, à lui apporter les premiers soins. Il y a juste une policière qui a mis ses mains pour l'aider. Le policier nous a dit 'Appelez l'ambulance pour qu'on puisse le secourir', mais ce n'est pas à nous de faire ça. Les pompiers sont venus au bout de 10-15 minutes. [Les CRS] nous disaient qu'il n'était pas mort, alors que moi j'ai vu, j'ai essayé de le réanimer. J'ai tout essayé mais il a perdu la vie devant moi", témoigne-t-il.
Les enquêteurs devront faire toute la lumière sur ces nombreux points de divergence.
* Le prénom a été modifié pour préserver l'anonymat du témoin.