Le torchon brûle entre Paris et Ankara. En cause : le texte de l'UMP Valérie Boyer, cosigné par plus d'une quarantaine de députés de la majorité présidentielle, et qui propose de sanctionner d'un an de prison et de 45.000 euros d'amendes la contestation des génocides reconnus par la loi. Le cas arménien serait donc automatiquement concerné. Alors que l'Assemblée nationale doit étudier le texte jeudi, la Turquie multiplie les menaces de représailles diplomatiques et économiques.
La Turquie dénonce une aberration
Le ministre turc des Affaires étrangères Ahmet Davutoglu a dénoncé mercredi, dans une tribune en France, cette proposition de loi "aberrante" condamnant la négation du génocide arménien, qui selon lui pénalise "la liberté d'expression". "Il n'est pas question pour nous d'accepter cette proposition de loi (...) qui dénie le droit de rejeter des accusations infondées et injustes contre notre pays et notre nation", avait réagi mardi le chef de l'Etat turc, Abdullah Gül, en exhortant Paris à renoncer à une loi "inacceptable".
La Turquie accuse également le gouvernement français de vouloir récupérer lors de la présidentielle de 2012 le vote de quelque 500.000 "Arméniens de France". "Tous les cinq ans cette question revient avant les élections" présidentielle et législatives pour obtenir les voix des Français d'origine arménienne, s'est insurgée Ümit Boyner, présidente du patronat turc, TUSIAD.
Des sanctions économiques ?
Alors que Nicolas Sarkozy était mercredi la cible des journaux turcs - "Le vilain monsieur" titrait ainsi le quotidien d'opposition Sözcün - Ankara pourrait par ailleurs toucher au porte-monnaie. En 2010, les échanges commerciaux avec la 17e économie mondiale, ont représenté près de 12 milliards d'euros pour la France. En matière économique, "si cette loi est adoptée, il y aura beaucoup de dommages et conséquences pour les deux pays", a estimé lundi le patron de l'Union des Chambres de commerce et des Bourses de Turquie (TOBB), Rifat Hisarciklioglu.
Le millier d'entreprises françaises opérant en Turquie pourrait se voir priver de marchés publics dans les domaines des transports, de l'armement et du nucléaire. Sans oublier la coopération culturelle, scientifique et technologique turco-française. Pas de quoi intimider Paris. La Turquie "est membre de l'Organisation mondiale du commerce et est liée à l'Union européenne par un accord d'union douanière. Ces deux engagements juridiques impliquent un traitement non discriminatoire à l'égard des entreprises de l'UE", a répliqué mardi le ministère français des Affaires étrangères.
La France campe sur ses positions
Et le gouvernement français reste, pour l'instant, déterminé. Le ministre des Affaires européennes, Jean Leonetti, a appelé mercredi la Turquie à reconnaître le génocide arménien comme "un fait historique" et a nié que la proposition de loi en question ait des arrières-pensées électoralistes. Le ministre s'est enfin inscrit en faux contre les accusations formulées en Turquie sur des arrières-pensées électoralistes qui auraient conduit au dépôt de la proposition de loi. "Si c'était pour faire voter" la communauté arménienne de France, "je pense que l'opposition ne voterait pas" le texte, a estimé le ministre.
Pour les Arméniens et une vingtaine d'autres pays, l'Empire ottoman a orchestré de 1915 à 1917 un génocide qui a fait 1,5 million de morts. Son existence est reconnu par la France depuis 2001.
La Turquie, elle, refuse de parler de génocide. Ankara admet bien la mort de 500.000 personnes mais seulement en tant que victimes des aléas de la Première guerre mondiale. Deux délégations turques, l'une composée d'industriels, l'autre de parlementaires, ont été envoyées à Paris pour tenter d'empêcher un examen du texte de loi. Ces parlementaires ont rencontré mardi Jean-David Levitte, conseiller diplomatique du président français Nicolas Sarkozy, puis le ministre des Affaires étrangères Alain Juppé.
Si le texte est adopté, la crise entre la France et la Turquie serait inévitable. Et les conséquences plutôt fâcheuses. Très en pointe sur les dossiers iraniens et syriens, Paris ne peut se permettre d'être persona non grata pour Ankara, incontournable pour le règlement de ces deux questions sensibles.