Après plus de cinq heures de retard, Joe Biden est apparu à la Maison-Blanche pour son allocution sur la situation afghane. Le président américain a alors affirmé que les Etats-Unis se retireraient d'Afghanistan dès le 31 août prochain. Plusieurs pays européens avaient pourtant affirmé quelques heures plus tôt, lors d'un G7 virtuel, que les évacuations des ressortissants et des réfugiés afghans ne pourraient pas être terminées en une semaine. Et la présence américaine est essentielle au bon déroulement des évacuations : les militaires sécurisent l'aéroport de Kaboul. Confronté à un ultimatum des talibans, Joe Biden a fait fi de ses alliés d'outre-Atlantique. Europe 1 décrypte cette décision américaine lourde de conséquences.
Qui a choisi la date du 31 août ?
Le 46e président des Etats-Unis avait lui-même fixé cette date du 31 août pour le retrait total des forces étrangères, après avoir dans un premier temps évoqué l'échéance fortement symbolique du 11 septembre, vingtième anniversaire des attentats de 2001 à New York et Washington.
"Nous sommes actuellement sur la voie de terminer d'ici le 31 août" la "mission" visant à "évacuer les gens aussi efficacement et sûrement que possible", a déclaré Joe Biden. Mais le respect de ce délai "dépend" de la coopération des talibans pour "permettre l'accès à l'aéroport" des candidats au départ, a-t-il prévenu, les mettant en garde contre toute "entrave" à ces opérations difficiles. Joe Biden a ainsi précisé avoir "demandé au Pentagone et au département d'Etat des plans d'urgence pour ajuster le calendrier si cela devait être nécessaire".
Avant l'annonce du président américain, les talibans avaient énergiquement répété leur opposition "ferme" à toute extension des évacuations au-delà du 31 août, présentée la veille comme une "ligne rouge". Lors d'une conférence de presse, le porte-parole des talibans, Zabihullah Mujahid, a sermonné les Occidentaux, accusé de vider le pays de ses forces vives en évacuant les Afghans qui ont travaillé avec eux, souvent parmi les plus qualifiés. "Nous leur demandons d'arrêter cela. Ce pays a besoin de son expertise", a-t-il insisté.
Pourquoi les Etats-Unis ne laissent-ils pas de délai supplémentaire ?
Joe Biden a invoqué mardi le "risque grave et croissant d'une attaque" du groupe jihadiste Etat islamique. "Chaque jour d'opérations apporte un risque supplémentaire pour nos troupes" de la part de cette organisation qui "cherche à viser l'aéroport et attaquer les forces américaines et alliées ainsi que les civils innocents", a-t-il martelé.
"Plus tôt, nous aurons terminé, mieux ce sera. Nous savons que le groupe Etat islamique cherche à viser l'aéroport pour attaquer les forces américaines alliées et des civils innocents", a poursuivi le président américain. Selon lui, Washington a déjà contribué à l'évacuation de 70.700 personnes, dont 4.000 ressortissants américains, depuis la mise en place du pont aérien le 14 août, veille de l'entrée des talibans dans Kaboul et de leur prise du pouvoir.
En ce qui concerne la France, plusieurs acteurs de premier plan de l'opération d'évacuation considèrent que le pays a honoré sa mission. Plus de 1.400 Afghans avaient été évacués avant même la prise de Kaboul par les talibans. "Il faut éviter à tout prix qu'on puisse comparer la situation des Afghans avec celle des harkis" pendant la guerre d'Algérie, ont confié ces mêmes sources à Europe 1.
Quelles condamnations le G7 a-t-il établies contre les talibans ?
"Aucun de nous ne croira les talibans sur parole. Nous les jugerons sur leurs actes", a affirmé Joe Biden. Le G7 prévient aussi les talibans qu'ils devront "rendre compte de leurs actes pour empêcher le terrorisme et sur les droits humains, en particulier ceux des femmes". La Haute-Commissaire de l'ONU aux droits humains, Michelle Bachelet, a déclaré mardi que le respect par les talibans des droits fondamentaux des femmes et des filles serait une "ligne rouge fondamentale".
Désormais, le G7 et le renseignement français souhaitent savoir comment vont agir les talibans. Vont-ils se réconcilier avec les combattants de Daesh qu'ils détestent ? Vont-ils s'entendre avec Al-Qaïda ? En clair, il ne faut pas que l'Afghanistan, refuge d'Al-Qaïda avant les attentats du 11-Septembre, redevienne "un havre pour le terrorisme et une source d'attaques terroristes contre d'autres" pays.
D'après le Washington Post, le directeur de la CIA William Burns a eu un entretien confidentiel lundi à Kaboul avec le cofondateur des talibans, Abdul Ghani Baradar, la plus haute rencontre à ce niveau entre les Etats-Unis et le régime fondamentaliste depuis son retour au pouvoir. Et Joe Biden a estimé que les ex-rebelles avaient jusqu'ici "pris des mesures" pour faciliter les évacuations, même si "la situation est fragile".
Quels sont les risques pour les afghans restés dans leur pays ?
Les Afghans déterminés coûte que coûte à quitter le pays, dont beaucoup ont travaillé pour l'ancien gouvernement ou avec des étrangers, redoutent que les talibans ne cherchent à se venger et instaurent le même type de régime fondamentaliste et brutal que quand ils étaient au pouvoir, entre 1996 et 2001. C'est le cas de Mohammad, il a travaillé comme traducteur pour l'armée française. "Les gens comme moi qui ont travaillé longtemps pour les forces françaises, c'est très dangereux en ce moment", a-t-il confié à Europe 1. Avant d'ajouter : "je suis caché à la maison, je ne peux pas sortir".
Ce père de deux enfant s'inquiète pour lui et sa famille. "J'espère que le gouvernement français ne va pas abandonner les Afghans", a espéré Mohammad. "Les talibans n'ont pas changé", a affirmé, de son côté, Nilofar Bayat, la capitaine de l'équipe afghane de basket-ball en fauteuil roulant, qui est parvenue à quitter son pays pour se réfugier en Espagne.
Hors de Kaboul, dans les campagnes et certaines villes, beaucoup sont soulagés de voir des décennies de guerre prendre fin. Mais les femmes et les minorités ethniques s'inquiètent pour leur sort. Les talibans s'efforcent de se présenter sous un jour plus modéré à la population et à la communauté internationale, mais sans convaincre. Lors de sa conférence de presse, le porte-parole taliban a assuré que les Afghanes employées dans l'administration pourraient retourner au travail "lorsque la sécurité sera assurée", en ajoutant qu'elles devaient rester chez elles d'ici là.