Le Sénégal est le théâtre depuis mercredi d'affrontements entre jeunes et forces de sécurité, de pillages et de saccages. L'arrestation de Ousmane Sonko, troisième de la présidentielle de 2019 et pressenti comme un des principaux concurrents de celle de 2024, a provoqué la colère de ses partisans. De nombreux Sénégalais estiment que cela a porté à son comble l'exaspération accumulée par la dégradation, au moins depuis le début de la pandémie de Covid-19 en 2020, des conditions de vie dans un pays déjà pauvre. Quatre personnes ont été tuées, disent les autorités, chiffres difficilement vérifiables alors que prolifèrent les informations non-vérifiées émanant d'autres sources.
Des émeutes depuis l'arrestation de Sonko
Ousmane Sonko a été arrêté officiellement pour trouble à l'ordre public, alors qu'il se rendait en cortège au tribunal où il était convoqué pour répondre à des accusations de viol portées contre lui par une employée d'un salon de beauté dans lequel il allait se faire masser pour, dit-il, soulager ses maux de dos. Personnalité au profil antisystème, le député crie au complot ourdi par le président Macky Sall pour l'écarter de la prochaine présidentielle.
Samedi, le collectif Mouvement de défense de la démocratie (M2D), comprenant le parti de l'opposant arrêté, des partis d'opposition et des organisations contestataires de la société civile a appelé "à descendre massivement dans les rues" à partir de lundi. Le collectif s'en est durement pris au président Macky Sall, qualifié "d'apprenti dictateur". Il a perdu "l'autorité morale" pour rester président, a dit un des leaders du mouvement, Cheikh Tidiane Dieye. Il s'en est tenu à ces mots quand la presse lui a demandé si le collectif appelait les Sénégalais à réclamer la démission de Macky Sall, président depuis 2012.
Le président accusé de complot
Les manifestations croient au "complot" qu'orchestrerait le président en pouvoir. Ils expriment individuellement l'usure des épreuves quotidiennes et la lassitude vis-à-vis du pouvoir. Un certain nombre montrent la France du doigt, premier partenaire commercial vu comme l'un des principaux soutiens étrangers de M. Sall. Le Mouvement de défense de la démocratie a désigné les "parrains étrangers" à qui Macky Sall s'emploierait à "faire plaisir".
Le président élu sur la promesse de mettre son pays sur la voie de l'émergence a démenti fin février avoir quoi que ce soit à voir avec les ennuis judiciaires de M. Sonko. Il a depuis gardé le silence, mais la pression augmente pour qu'il prenne la parole. Samedi, c'est son ministre de l'Intérieur Antoine Félix Abdoulaye Diome qui a tenu un langage vigoureux. Il a appelé au calme et fait miroiter "la perspective" d'un allègement du couvre-feu instauré contre la pandémie et qui pèse sur l'activité d'un grand nombre. Mais il a aussi dit que l'Etat emploierait "tous les moyens nécessaires" pour rétablir l'ordre. "Toutes les personnes auteures d'actes criminels seront recherchées, arrêtées, poursuivies et traduites devant la justice", a-t-il promis.
Une journée plus calme samedi
Après avoir connu pendant trois jours ses pires troubles depuis des années, le pays habituellement considéré comme un îlot de stabilité en Afrique de l'Ouest et sa capitale Dakar ont connu une relative accalmie samedi, jour de relâche d'ordinaire. Des actes de saccage et de pillage ont cependant continué à être rapportés, y compris contre des enseignes françaises.
La tension pourrait toutefois flamber à nouveau lundi avec l'appel du M2D. Cette date coïncide avec la présentation d'Ousmane Sonko devant un juge. La décision du magistrat de le relâcher ou de l'écrouer s'annonce lourde de conséquences. Le collectif réclame "la libération immédiate de tous les prisonniers politiques illégalement et arbitrairement détenus", le rétablissement du signal suspendu de deux chaînes de télévision accusées d'avoir diffusé "en boucle" des images des troubles, et une enquête sur ce qu'il appelle un "complot" du pouvoir.
La Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cédéao) a appelé "toutes les parties à la retenue et au calme". L'Union africaine a exprimé sa "préoccupation" et son attachement à un solution "par la voie pacifique, le dialogue et dans le strict respect de l'ordre".