Le chef de l'armée du Bangladesh, le général Waker-Uz-Zaman, a déclaré lundi qu'il allait former un gouvernement intérimaire après la démission de la Première ministre Sheikh Hasina qui a fui la capitale Dacca. "Nous allons former un gouvernement intérimaire", a déclaré le général lors d'une adresse à la nation diffusée par la télévision d'Etat.
La Première ministre du Bangladesh Sheikh Hasina, a fui lundi la capitale Dacca par hélicoptère, avant que des milliers de manifestants ne prennent d'assaut son palais, a indiqué à l'AFP une source proche de la dirigeante. "Son équipe de sécurité lui a demandé de partir, elle n'a pas eu le temps de se préparer", a déclaré cette même source, ajoutant qu'elle était d'abord partie au sein d'un cortège de véhicules, puis "évacuée en hélicoptère".
Des manifestants prennent d'assaut le palais de la Première ministre
Des milliers de manifestants antigouvernementaux ont pris d'assaut le palais de la Première ministre du Bangladesh lundi à Dacca, selon des images télévisées, après qu'une source a indiqué à l'AFP que la dirigeante avait fui pour un "lieu plus sûr".
Sur des images diffusées par la chaîne bangladaise Channel 24, on voit une foule de personnes en train de rentrer dans la résidence de Sheikh Hasina et de saluer la caméra. Les images montrent des émeutiers s'emparant de chaises, renversant des meubles ou brisant des portes vitrées. "Je suis à l'intérieur du palais Ganabhaban", la résidence officielle du chef du gouvernement bangladais, a déclaré à l'AFP le journaliste Yeasir Arafat. "Il y a plus de 1.500 personnes à l'intérieur du palais. Ils cassent les meubles et les verres", a-t-il ajouté.
Une source proche de Mme Hasina a déclaré à l'AFP que cette dernière, âgée de 76 ans et au pouvoir depuis janvier 2009, avait quitté Dacca avec sa sœur pour un "lieu sûr", ajoutant qu'elle "voulait enregistrer un discours" mais n'avait "pas pu avoir l'occasion de le faire". Le quotidien Prothom Alo a également rapporté que la cheffe du gouvernement avait fui la capitale.
Au moins 300 personnes tuées depuis le début des manifestations
Les manifestants antigouvernementaux avaient prévu de marcher en masse lundi sur Dacca, la capitale du Bangladesh, au lendemain d'une journée sanglante au cours de laquelle des affrontements ont fait au moins 94 morts à travers le pays. "Le temps est venu de la manifestation finale", a lancé dimanche Asif Mahmud, un des leaders du mouvement étudiant à l'origine de la contestation, en appelant à marcher sur la capitale.
Au moins 300 personnes ont été tuées depuis le début des manifestations en juillet, selon un bilan de l'AFP à partir de données de la police, de responsable et de sources hospitalières.
Un vaste dispositif de sécurité a été déployé à Dacca, où les rues conduisant au bureau de la Première ministre Sheikh Hasina ont été barricadées par la police et l'armée avec du fil barbelé. Dans le pays, un couvre-feu est entré en vigueur dimanche soir. La connexion à l'internet mobile a été strictement limitée. Les 3.500 usines ont fermé.
Un "champ de bataille"
Dimanche, de nouveaux heurts entre opposants à Mme Hasina, forces de l'ordre et partisans du parti au pouvoir ont fait au moins 94 morts dans tout le pays. C'est le bilan le plus lourd en une seule journée depuis le début des manifestations antigouvernementales il y a un mois dans ce pays musulman de 170 millions d'habitants où les étudiants contestent, sur fond de chômage aigu des diplômés, les faveurs dont bénéficient les proches du pouvoir pour devenir fonctionnaires.
Parmi les morts figurent au moins 14 policiers, selon le porte-parole de la police, Kamrul Ahsan. Les camps rivaux se sont affrontés à coups de bâton et de couteau et les forces de l'ordre ont tiré à balles réelles. Un commissariat à Enayetpour (nord-est) a été pris d'assaut et 11 policiers tués, selon la police.
Tout Dacca s'est transformé "en champ de bataille" et une foule de plusieurs milliers de manifestants a mis le feu à des voitures et des motos près d'un hôpital, selon une autre source policière. Des manifestants ont été vus en train d'escalader une statue du père de Mme Hasina, le fondateur du Bangladesh Sheikh Mujibur Rahman, tentant de la démolir à coup de marteaux.
A Dacca, des coups de feu et détonations répétées ont été entendus après la tombée de la nuit alors que des manifestants bravaient le couvre-feu. "La violence choquante au Bangladesh doit cesser", a exhorté dimanche soir le Haut-commissaire des Nations unies aux droits de l'homme, inquiet pour la journée de lundi alors "que le mouvement de jeunesse du parti au pouvoir se mobilise contre les protestataires".
Plus tôt dans la journée, des milliers de Bangladais s'étaient rassemblés sur une place de Dacca pour exiger la démission de Mme Hasina. Ils répondaient à l'appel du collectif étudiant Students Against Discrimination (Etudiants contre les discriminations) qui avait exhorté la veille à la désobéissance civile.
L'armée, "aux côtés du peuple"
Ces affrontements comptent parmi les plus meurtriers depuis l'arrivée au pouvoir il y a 15 ans de Mme Hasina. Pour rétablir l'ordre, son gouvernement a notamment coupé l'accès à internet, fermé écoles et universités, imposé un couvre-feu et déployé l'armée. D'anciens officiers militaires ont depuis apporté leur soutien aux contestataires.
Dans une prise de position hautement symbolique contre la Première ministre, un ancien chef de l'armée, le général Ikbal Karim Bhuiyan, et plusieurs autres ex-officiers supérieurs ont appelé au retrait des troupes de la rue, en soulignant que les gens n'avaient "plus peur de sacrifier leur vie".
Dans plusieurs cas, des soldats et des policiers ne sont d'ailleurs pas intervenus contre les protestataires, contrairement au mois dernier. "Ceux qui sont responsables d'avoir poussé les habitants de ce pays dans un état de misère aussi extrême devront être traduits en justice", a aussi estimé M. Bhuiyan. Samedi, l'actuel chef de l'armée, le général Waker-uz-Zaman, avait lui affirmé dans un communiqué que les militaires se tiendraient "toujours aux côtés du peuple".
Que se passe-t-il ?
Le pays compte de nombreux diplômés au chômage, et les étudiants exigent l'abolition d'un système de discrimination positive qui réserve un quota d'emplois publics aux familles des vétérans de l'indépendance. Partiellement aboli en 2018, ce système a été restauré en juin par la justice, mettant le feu aux poudres, avant un nouveau retournement fin juillet de la Cour suprême.
La crise sociale s'est muée en crise politique à partir du 16 juillet, quand la répression a fait ses premiers morts, les manifestants réclamant alors la démission de Mme Hasina. "Il ne s'agit plus seulement de quotas d'emplois", a déclaré à l'AFP Sakhawat, une jeune manifestante rencontrée à Dacca, où elle réalisait un graff sur un mur qualifiant Mme Hasina de "tueuse". "Nous voulons que les futures générations puissent vivre librement", dit-elle.