Plusieurs Rohingyas ayant fui le village de Birmanie où l'armée a reconnu son implication dans un massacre ont affirmé jeudi que les victimes étaient des civils et non des rebelles, contredisant ainsi la version des autorités. Après des mois de dénégations, l'armée birmane a admis mercredi que des soldats avaient tué de sang-froid dix Rohingyas en captivité, un premier aveu qui ne serait que la partie émergée de l'iceberg selon Amnesty International.
Plus de 665.000 Rohingyas ont fui le pays. "Des habitants du village d'Inn Din et des membres des forces de sécurité ont reconnu avoir tué dix terroristes bengalis", avait indiqué le bureau du chef de l'armée sur Facebook, reprenant un vocable péjoratif utilisé en Birmanie pour désigner des combattants rohingyas. Ce message revenait sur des faits survenus le 2 septembre dans l'État Rakhine, épicentre des violences dans l'ouest de la Birmanie. Plus de 655.000 musulmans rohingyas ont fui cette région depuis fin août pour échapper à ce que les Nations unies considèrent comme une épuration ethnique.
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"L'armée a trouvé nos caches et a sélectionné 10-15 hommes". Mais la version birmane des faits a déclenché la fureur des proches de victimes, désormais réfugiés au Bangladesh voisin où un reporter de l'AFP les a rencontrés. Wal Marjan, 30 ans et mère de cinq enfants, a ainsi perdu son mari Abdul Malek dans ce massacre. Professeur dans une école coranique, ce dernier n'avait selon elle aucun lien avec la rébellion armée.
"Lorsque les bouddhistes rakhines ont brûlé nos maisons, nous nous sommes abrités sur une île à proximité. L'armée a trouvé nos caches et a sélectionné 10-15 hommes pour une rencontre avec eux", a-t-elle déclaré. "Le reste d'entre nous, principalement des femmes et des enfants, a fui l'île et est venu au Bangladesh", a-t-elle ajouté. Il lui a par la suite été rapporté que le groupe avait été tué.
"Des pêcheurs, des fermiers, des bûcherons". Également originaire d'Inn Din, Hossain Ahammad soutient aussi que les victimes n'avaient aucun lien avec l'Armée du salut des Rohingyas de l'Arakan (ARSA), le principal groupe rebelle. "C'étaient des pêcheurs, des fermiers, des bûcherons et des religieux", a-t-il dit, rejoignant d'autres témoignages en ce sens. "J'ai réussi à m'échapper, sinon je serais en train de pourrir dans le charnier avec mes amis", a-t-il déclaré, fondant en larmes.
Des éléments de génocide, selon l'ONU. La marée humaine de réfugiés rohingyas qui a submergé le Bangladesh a apporté avec elle nombre de témoignages concordants de massacres, de viols collectifs et d'incendies de villages. Cet exode a été déclenché par la brutale campagne de répression consécutive à des attaques de l'ARSA contre des postes de police le 25 août. Jusqu'à cette semaine, l'armée birmane avait toujours nié tout abus et seulement évoqué 400 "terroristes" tués dans des combats. Un rapport de Médecins sans frontières estime lui qu'au moins 6.700 Rohingyas ont été tués entre fin août et fin septembre.