Les changements climatiques sont un enjeu majeur pour la paix dans le monde. A quelques semaines seulement de la COP 21, le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a réuni, en début de semaine, ses homologues étrangers pour évoquer le sujet. Les changements climatiques et leurs conséquences comme la réduction des ressources naturelles constituent une "menace pour la paix", ont reconnu les dirigeants, indiquant que cette problématique devait, désormais, être prise en compte dans les politiques de défense et la sécurité internationale.
"Les sécheresses, les famines, les inondations provoquées par le réchauffement climatique pourraient constituer l'un des facteurs majeurs de déclenchement des conflits pour les générations à venir", a mis en garde Laurent Fabius, le ministre des Affaires étrangères. Un constat que les scientifiques font déjà depuis quelques années et que certains Etats ont déjà commencé à prendre en compte.
La France à la traîne. Les Américains et Britanniques ont intégré le dérèglement climatique dans leurs préoccupations, notamment sur le plan militaire. Le Pentagone regarde, par exemple, quelles seraient les conséquences pour ses installations un peu partout dans le monde. La France, elle, commence seulement maintenant à s’intéresser au sujet.
"D’ici la fin du siècle, on sait que le niveau des océans montera d’un mètre", explique à Europe 1, François Gemenne, chercheur à Sciences-Po et à l’université de Versailles-Saint-Quentin. "On sait donc qu’il y aura des mouvements de population qu’il va falloir anticiper", poursuit-il, s’inquiétant des difficultés que rencontre déjà l’Europe à gérer la crise des migrants. "Qu’en sera-t-il quand il s’agira de millions de personnes ?", s’interroge-t-il.
Pas de gouvernance mondiale. Le chercheur prend pour exemple le cas du Vietnam, bordé à l’Est, du Nord au Sud, par la mer de Chine. "Ce pays va perdre 26.000 kilomètres carrés de terre, soit 10% de son territoire. Le Vietnam va donc devoir choisir quels territoires il protègera, quels territoires il sacrifiera", explique l’expert.
Et si chacun cherche dans son coin à trouver des solutions, "il n’existe pas pour le moment de gouvernance mondiale autour de cette problématique", constate François Gemenne. Et ces choix faits pourraient être source de tensions politiques avec d’autres Etats. "Aucun critère de décision n’a été fixé au niveau mondial. Cela revient donc aux gouvernements dont certains n’ont pas encore saisi l’importance de l’enjeu", prévient-il.
Pas de modèle théorique pour le moment. Autre difficulté, les scientifiques n'ont pas, pour l'heure, trouvé de "modèles théoriques" pour expliquer comment les dérèglements climatiques peuvent conduire à des conflits. Pourtant, les changements climatiques ont déjà modifié certaines données géopolitiques comme les voies maritimes. La fonte des glaces en Arctique a ouvert de nouvelles voies de navigation, ce qui constitue un nouvel enjeu militaire mais aussi économique avec la course aux hydrocarbures.
Lors de la réunion menée par Jean-Yves le Drian, le ministre a pris l’emblématique exemple du lac Tchad qui a perdu 90% de sa surface, modifiant l’équilibre économique fragile de la région et facilitant les recrutements de groupes terroristes comme Boko Haram. "Ces groupes recrutent, évidemment, plus facilement parmi ceux qui ont tout perdu", note François Gemenne, qui estime que ce lien entre changements climatiques et accentuation des conflits "est bien trop sous-estimé".
Les experts s’accordent à dire que la première mesure à prendre reste bien entendu la réduction des gaz à effet de serre, qui sont la première cause du réchauffement climatique. Mais il faudra rapidement penser à anticiper ces menaces qui pèsent sur les territoires et donc sur la sécurité. "Il faut rapidement placer ces menaces à l’agenda politique et considérer qu’elles ne sont pas lointaines", alerte François Gemenne, rappelant que certaines sont même déjà des réalités.