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Isabelle Ory, Jean-Sébastien Soldaïni, édité par Séverine Mermilliod , modifié à
Europe 1 vous emmène des deux côtés de la frontière de l'Europe pour voir comment l'Union européenne tente de contenir l'arrivée de migrants et demandeurs d'asile : en Turquie, où vivent près de 4 millions de réfugiés syriens, et de l’autre côté de la frontière, en Grèce. 
REPORTAGE

Confrontée à un afflux de migrants, réfugiés et demandeurs d'asile, en particulier depuis le début la guerre en Syrie (1 million de personnes étaient entrées en Europe en 2015, au plus fort de la crise), l'Union Européenne met en place depuis des années une stratégie migratoire afin de maîtriser ces déplacements. Europe 1 s'est rendue en Grèce et en Turquie, de chaque côté de la frontière. Dans le Sud de la Turquie, l'Union européenne finance de nombreux programmes destinés à retenir les réfugiés syriens sur place.

Intégrer les enfants au système scolaire turc 

Tout est fait pour les ancrer sur le sol turc à long terme, en commençant par l'éducation : l'objectif est d'intégrer les enfants syriens au plus vite dans le système scolaire et donc dans la population. C’est le but du programme Concern, qui propose des cours en arabe et en turc. Pour y accéder, les Syriens doivent s’enregistrer auprès des autorités locales et cela donne accès à certains avantages. "Une fois enregistrés, en plus de l'éducation, les bénéficiaires ont accès au système de santé et à un soutien psychologique", précise Erin Wall, qui coordonne ce programme dans la ville de Sanliurfa. Une façon de montrer aux réfugiés qu'ils peuvent rester ici pour longtemps. "Le gouvernement turc a bien intégré le fait que le conflit syrien ne va pas s’arrêter du jour au lendemain. Et l’intégration des réfugiés dans le système éducatif est la clé."

Si les enfants sont assidus, un coup de pouce financier est versé à la famille, encore une fois par l'Union européenne. Tout le monde y trouve son compte puisque les parents sont associés au programme. "Au début, quand mes enfants venaient dans ce centre, les profs ne les laissaient pas partir sans que je vienne les récupérer… Petit à petit, ils les ont laissés prendre le bus pour rentrer à la maison en me passant un coup de fil pour savoir s’ils étaient bien arrivés", constate Asmaha, qui a vite vu que ses trois enfants s’intégraient bien à la vie locale. "C’est comme ça que mes enfants et moi, on a pris confiance", souligne-t-elle. De cette façon, beaucoup d’enfants de 10-15 ans n'ont plus du tout de souvenirs de leur vie en Syrie et sont bien plus attachés à la Turquie. Certains ne savent même pas parler arabe.

Par ailleurs, chaque famille syrienne a droit à une carte de crédit sur laquelle est versée un peu plus de 15 euros par personne et par mois, financé par l'Union européenne, argent qui permet de payer loyers, factures, ce qu’ils veulent, à condition bien sûr de s'être enregistré auprès des autorités.

"J’envisage d’aller ailleurs qu’en Turquie"

Tous les réfugiés syriens ne renoncent pas pour autant à se rendre en Europe. Une autre ONG financée par l'Union européenne reçoit chaque jour des demandes de conseils pour aller en Europe, mais ils ne peuvent aider que ceux qui subissent des violences liées à leur orientation sexuelle ou pour les urgences médicales. "J’envisage d’aller ailleurs qu’en Turquie", confie Hayat, jeune maman de 4 enfants, pas dissuadée pour autant par ces restrictions. "Il est vrai que j’y suis aidée et que je n'aurais jamais pu sauver mon fils blessé si je n’avais pas eu tout ce soutien. Mais si un autre pays est plus sûr et qu’il permet d’offrir un meilleur avenir à mes enfants, j’irai".

Comme elle, beaucoup s’estiment heureux de leur sort mais malgré l’aide (certes mince) qu’ils y reçoivent, ils ne considèrent la Turquie que comme une étape. La seconde étant le passage en Europe, notamment via l'ile grecque de Lesbos, puisque la frontière de l’Europe passe dans la mer Egée entre Lesbos et la Turquie. Europe 1 s'y est rendue, là où arrivent ceux qui tentent le voyage, pour accompagner une patrouille portugaise de Frontex, agence européenne en charge du contrôle des frontières.

Côté Grec, "en quelques minutes, quelques heures, tout peut basculer"

Les garde-côtes européens sont là pour soutenir la Grèce. Parfois, les gardes-côtes turcs sont proches, ce qui peut créer des tensions car Grèce et Turquie s'accusent mutuellement de refouler ou de pousser les migrants. De Lesbos, on voit la Turquie à l’œil nu. La mer paraît très calme, mais les apparences sont trompeuses. "En quelques minutes, quelques heures, tout peut basculer. La configuration géographique est telle qu'il faut, dans certains endroits, moins de vingt minutes entre le départ et l'arrivée sur les côte", précise Stéphane Bonmarchand de Frontex. "C'est pour ça que nous sommes là, avec un dispositif qui est dissuasif. Parfois certains migrants arrivent à passer entre les mailles du filet, mais beaucoup moins qu'auparavant."

Ces derniers jours, une quarantaine de migrants ont atteint les plages de Lesbos. Sur les iles grecques, entre janvier et avril, il y a eu à peu moins de 5.000 arrivées, avant tout des Afghans et des Syriens.

Quarantaine et entretien avec les garde-côtes 

Et leur périple ne s'arrête pas là. A cause du coronavirus, ils sont mis en quarantaine et au bout de 2 semaines, obtiennent un entretien avec les gardes-frontières. On leur demande d'où ils viennent, pourquoi ils demandent l'asile. Des interprètes évaluent aussi si leur langue correspond à ce qu’ils déclarent, l’occasion de récupérer au passage des informations sur les réseaux de passeurs. Ensuite, leur dossier de demande d'asile est enregistré dans le système européen.

"On amène les gens ici pour prendre la photo et les empreintes digitales, pour que leur processeur d'enregistrement en tant que migrant soit officiel", explique la personne qui supervise la procédure. "Ici, ils commencent leurs péripéties pour pouvoir rester migrants - pare que ça c'est à d'autres instances de décider - en Europe." En attendant l’examen de la demande, leur envie d’Europe se termine souvent dans le camp de Lesbos. Environ 7.000 personnes y patientent en ce début juin.